Parentalité et écologie : élever des enfants face aux défis du XXIᵉ siècle avec Charlotte Meyer #231

Peut-on encore les concilier parentalité et écologie dans un monde en pleine crise climatique ? Face aux rapports alarmants sur le dérèglement du climat et l'effondrement de la biodiversité, de plus en plus de jeunes couples, en âge d'avoir des enfants, s'interrogent : est-il raisonnable de donner naissance à un enfant aujourd'hui ? Peut-on élever un enfant tout en restant fidèle à ses convictions écologiques ?

Charlotte Meyer, journaliste et autrice du livre Les enfants de l'apocalypse, aux Éditions Tana, a traversé ce dilemme de plein fouet. Spécialiste des questions environnementales, elle a longtemps envisagé de renoncer à la maternité avant d'accueillir, en pleine conscience, son premier enfant.
Son témoignage, intime et engagé, éclaire les questions que beaucoup n’osent pas toujours formuler : comment élever un enfant dans un monde incertain ? Peut-on être parent et engagé pour la planète ? À quoi pourrait ressembler une parentalité alignée avec les limites du vivant ?

À travers cet épisode du podcast Les Adultes de Demain, Charlotte Meyer partage son expérience, ses doutes, mais aussi ses pistes d'action pour inventer, à l’échelle de la famille, un futur plus résilient.

Devenir parent face à la crise écologique : un choix déchirant

Aujourd'hui, concilier parentalité et écologie soulève des dilemmes inédits. Face à l'urgence climatique et à l'effondrement du vivant, de nombreux adultes hésitent à devenir parents. L'éco-anxiété n'est plus une notion marginale : elle traverse les décisions les plus intimes, jusqu'à remettre en question le désir d'enfanter.

Charlotte Meyer témoigne avec une grande honnêteté de ce tiraillement intérieur. Journaliste spécialisée dans les enjeux environnementaux, elle explique :

« Même si j'avais un vrai désir de maternité, je me disais : dans quel monde tu vas faire naître un enfant ? Ce n'est pas possible, tu ne pourras pas le protéger. »

Pour elle, décider de renoncer à la maternité était d'abord un acte de responsabilité écologique et un sacrifice personnel.

« Il y a des femmes qui ne veulent pas d'enfant. Dans mon cas, le fait de ne pas en vouloir, c'était vraiment un sacrifice », confie Charlotte Meyer.

Pourtant, au moment où elle découvre sa grossesse, une bouffée de bonheur surgit, inattendue, plus forte que ses convictions :

« Quand je tombe enceinte, ce n'était effectivement pas prévu. Et la première surprise, c'est que je m'aperçois que je suis hyper heureuse de voir deux barres apparaître sur mon test de grossesse. Et quand même, il y avait une certaine angoisse à n'en voir apparaître qu'une. Enfin, je m'en suis aperçue sur le coup.
"Mais attends, Charlotte. Réatterrie, retour à la réalité. On avait dit non. Qu'est-ce que t'es en train de faire ?"
Il y a une sorte de bouffée de bonheur qui a pris le pas sur tout le reste pendant une poignée de secondes, mais qui était vraiment assez forte. »

Ce bouleversement intérieur donne toute sa dimension au dilemme qui se présente : comment arbitrer entre l'amour naissant pour cet enfant et la conscience aiguë des défis à venir ?

Jusqu'alors Charlotte Meyer s'était dit que si elle tombait enceinte, elle mettrait fin à sa grossesse, puisqu'il est aujourd'hui possible de renoncer à une maternité quand on est une femme.
Charlotte raconte les jours d'attente avant son rendez-vous pour une IVG, les hésitations, les discussions avec son conjoint, la lutte entre son engagement politique et son instinct maternel.

Finalement, elle choisira de garder son enfant. Un choix « pris en conscience », porté par l'envie d'offrir à ce futur adulte des clés pour affronter un monde en mutation.
Son témoignage rejoint celui de nombreux parents traversés par ces questions fondamentales, que nous avions également explorées dans notre épisode « Comment savoir si je veux un enfant ? » avec Mathilde Bouychou.

Peut-on être parent et engagé pour la planète ?

Être parent aujourd'hui, est-ce être égoïste ?

Lorsqu'on parle de parentalité et écologie, une critique revient souvent : faire des enfants serait un acte égoïste dans un monde en crise. Charlotte Meyer déconstruit ce mythe avec force.

Depuis la publication de son livre, elle reçoit parfois des messages accusateurs :

« T'es journaliste écolo, tu fais un enfant, mais t'es vraiment égoïste. T'as pas conscience du monde dans lequel il va évoluer, cet enfant. »

Mais, souligne-t-elle, ce procès en égoïsme vise aussi les femmes qui font le choix inverse.
La journaliste Salomé Saqué ou Bettina Zourli, créatrice du compte « Je ne veux pas d'enfants » sur Instagram, en font les frais : elles sont elles aussi taxées d’égoïsme, pour avoir choisi de ne pas enfanter.

« Et en fait, il y a vraiment ce truc de, en tant que femme, quel que soit le choix qu'on fasse au niveau de notre corps, que l'on veuille qu’il donne la vie ou pas, on sera forcément taclés d'égoïste », constate-t-elle.

Un choix personnel, une décision en conscience

Pour Charlotte Meyer, l’égoïsme n’a rien à voir ici. Faire le choix de ne pas avoir d’enfant n’est pas un renoncement, ni une fuite. C’est, au contraire, souvent un acte de lucidité et de responsabilité.

Elle affirme :

« Si on sent au fond de soi qu'on n'est pas fait pour être parent, ou que ce n'est pas notre projet de vie, alors c’est peut-être mieux de ne pas avoir d'enfant. Mieux vaut cela qu’élever un enfant sans l’aimer comme il le mérite, ou sans pouvoir l’accompagner pleinement.[...] Tant que c'est un choix en conscience, en fait, il n'y a aucun jugement à avoir sur ces parents-là. »

Ce que dit la science : avoir un enfant change-t-il vraiment la donne ?

Pour étayer ses propos, Charlotte cite les travaux de l’ingénieur et essayiste Emmanuel Pont, auteur de Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?, aux éditions Payot. Il montre que :

  • Les pays à forte natalité (souvent les plus pauvres) ne sont responsables que de 3,5 % des émissions mondiales de CO₂, bien qu’ils concentrent 20 % de la population mondiale.

  • En revanche, la surconsommation des pays riches reste le premier levier d’action.

  • Enfin, simuler une politique d’enfant unique en France aurait un impact très limité à court et moyen terme : seulement 3 à 11 % de réduction des émissions d'ici à 2100.

Autrement dit, ce ne sont pas les naissances qu’il faut limiter, mais notre mode de vie qu’il faut repenser.

Être parent et militant, c’est possible

Charlotte Meyer en est convaincue : le véritable engagement écologique se mesure à la manière dont on vit, pas à la simple question d’avoir ou non des enfants.

Pour le prouver, dans son livre, elle partage le parcours de familles militantes, comme celui de Jonathan Attias et Caroline Pérez, activistes écologistes depuis des années, qui élèvent deux enfants dans un cadre cohérent avec leurs valeurs.

Transmettre des valeurs, semer une écologie intérieure

Devenir parent n’exclut pas l’engagement. Bien au contraire. Élever un enfant, c’est aussi former un futur citoyen du monde. Comme le soulignait notre article Ce que les enfants nous enseignent, les enfants eux-mêmes portent déjà en eux les germes d’un monde nouveau : l'émerveillement, la curiosité, l'élan vers l’autre, la soif de justice. André Stern parle d'enthousiasme de l'enfant.

Le rôle des parents ? Nourrir ces forces vives. Leur transmettre une conscience écologique vivante, ancrée dans les gestes, les choix, le quotidien. Et peut-être, à travers cela, contribuer à atténuer le mal-être de certains adolescents et des jeunes d'aujourd'hui, confrontés notamment à l’écoanxiété et à l’angoisse d’un avenir incertain.

Changer notre regard sur l’enfance pour changer le monde

Quand on parle de parentalité et écologie, il ne s'agit pas seulement de gestes pour réduire son empreinte carbone. Adopter une parentalité écoresponsable, c’est aussi changer notre manière d’être avec les enfants.

Pour Charlotte Meyer, tout commence par le lien. Elle explique que l’éco-parentalité, ce n’est pas seulement repenser notre rapport à la nature, c’est aussi repenser notre rapport aux enfants.

« L'éco-parentalité, au-delà d'une parentalité en conscience écologique, qui revoit uniquement les liens avec la faune, la flore, la nature, va considérer les liens avec l'ensemble du vivant, y compris dans la famille.

Et donc, ça rejoint toute une réflexion qui est assez présente depuis plusieurs années, notamment des philosophes comme Baptiste Morizot, de comment on refait lien avec le vivant pour sortir d'un système de domination qui nous a menés dans la situation dans laquelle on est aujourd'hui.C'est-à-dire qu'on parle beaucoup de changement climatique, de carbone, etc. Mais en fait, le vrai enjeu, il est autour de notre rapport à la biodiversité, au vivant dans son entièreté. »

Charlotte Meyer souligne combien notre modèle éducatif classique repose encore sur une hiérarchie rigide où l'adulte domine l'enfant. Cette structure, héritée d'un rapport de pouvoir sur le vivant, doit être remise en question si l’on veut vraiment construire une société plus respectueuse.

«  Il y a une vraie réflexion sur comment est-ce qu'on se remet à hauteur d'enfants pour vraiment prendre leur avis en compte. »

C'est un changement de posture auquel appelle également Marion Cuerq, comme nous l'avions vu lorsqu'elle évoquait l'éducation en Suède. Ce changement de regard et d'attitude nous oblige à sortir du schéma de l’adulte tout-puissant pour devenir, avec l’enfant, un compagnon de route.

C’est aussi une manière de renouer avec un lien plus large au vivant. En cessant d’imposer, en apprenant à cohabiter avec la sensibilité d'un enfant, on développe une autre manière d'habiter le monde : plus douce, plus respectueuse, plus attentive.

Charlotte rejoint ici une idée forte défendue par Boris Cyrulnik dans notre épisode consacré à la carence affective, dans lequel il évoquait ce fameux proverbe africain : il faut tout un village pour élever un enfant. Léa Johansen, aka Manipani l'a également repris pour décrire la parentalité scandinave, un modèle inspirant. Et ce village commence par la famille elle-même, par la manière dont chaque adulte accueille la singularité de l’enfant.

Changer notre regard sur l’enfance, c’est ouvrir la voie à une société où l’on soigne les liens, où l'on fait famille, plutôt que d'imposer des modèles tout faits.

Habiter le monde autrement pour lier parentalité et écologie

Face aux défis écologiques, certaines familles font le choix de tout repenser pour concilier parentalité et écologie : leur lieu de vie, leur mode d'éducation, leur manière de consommer. Charlotte Meyer a rencontré de nombreuses familles qui, loin de se couper du monde, construisent au quotidien des utopies concrètes.

Certaines vivent en yourte, dans des habitats légers, proches de la nature. D'autres ont rejoint des écolieux, où l'entraide et la mutualisation des ressources remplacent l'hyperconsommation. Beaucoup ont aussi choisi l'instruction en famille (IEF), une alternative éducative qui leur permet de transmettre des savoirs plus connectés au vivant, tout en respectant le rythme de leurs enfants.

« Certaines familles ont décidé d'aller s'installer dans des zones géographiques un peu plus reculées, de construire leur propre habitat, de faire l'école à la maison, de centrer beaucoup de choses autour de l'enfant, finalement, tout en étant, et ça, c'est assez important, très engagées dans les collectifs, au niveau politique, par exemple, etc. Donc ce n'est pas juste des personnes qui décident de faire sécession avec la société et de faire leur petite utopie de côté. »

Charlotte Meyer insiste :

« Ce ne sont pas des personnes totalement isolées.  Au contraire, ce sont des personnes qui ont très bien compris qu'en plus, pour que leur système fonctionne, il faut être interdépendant et elles vont beaucoup échanger entre familles du même acabit. »

Contrairement aux clichés, ces familles ne cherchent donc pas à fuir la société. Elles expérimentent d’autres manières d’habiter le monde, plus sobres, plus solidaires, souvent plus joyeuses. Leur parentalité devient un véritable laboratoire de nouveaux récits, où l'on tente de concilier épanouissement personnel, engagement écologique et vie communautaire.

Charlotte Meyer insiste : il ne s'agit pas de modèles à reproduire tels quels, mais d'inspirations. En élevant des enfants libres, créatifs et connectés à la nature, ces familles montrent qu'un autre futur est possible, dès aujourd'hui.

Parentalité et écologie : construire une parentalité  écoresponsable

©Ekaterina Bolovtsova

Vers une révolution invisible : maternage, travail, prise en compte de l'enfant

Changer le monde commence souvent par de petits gestes, presque invisibles. Dans son livre, Charlotte Meyer explore comment le maternage proximal et la parentalité consciente participent de cette révolution silencieuse.

Elle-même a fait le choix d’élever sa fille sans séparation précoce, tout en continuant à exercer son métier de journaliste. Un choix assumé qui remet en question l’opposition classique entre vie professionnelle et parentalité :

« J'ai effectivement fait ce choix de ne pas mettre ma fille à garder et de m'en occuper le plus possible, tout en continuant à garder mon métier, qui est vraiment un métier passion. Je ne voulais pas me séparer de l'un ou de l'autre. J'ai quand même la chance de faire un métier qui est assez adaptable.

Du coup, j'emmène ma fille sur mes terrains de reportage. Quand je suis en télétravail, elle est avec moi. Je voyage énormément avec elle et je trouve que c'est une vraie richesse, parce que du coup, elle côtoie vraiment des parts du monde très différentes. Elle rencontre aussi bien des artistes que des politiques, des scientifiques, des adultes ou des enfants. Des personnes de toutes les strates de la société. »

En repensant la place de l'enfant dans leur vie, ces familles qui lient parentalité et écologie interrogent aussi la place du travail. Pourquoi faudrait-il systématiquement sacrifier l'éducation des enfants au profit de la productivité économique ? Pourquoi considérer que prendre soin d'un autre serait du temps perdu ?

Charlotte rappelle combien prendre soin est un acte profondément politique :

« Je crois qu'on a fondamentalement besoin d'une société qui sait prendre soin de l'autre et qui n'a pas peur de le faire, qui ne considère pas que c'est du temps perdu. »

Revaloriser la parentalité, rendre possible une vie plus équilibrée entre famille et engagement professionnel, penser des structures adaptées aux enfants... Tout cela fait partie de l’émergence d’une société plus écologique, inclusive et solidaire.

À travers des choix souvent discrets, mais déterminés, les parents engagés montrent qu'un autre rapport au vivant, au temps, aux autres est non seulement souhaitable, mais réalisable.

Le monde qui s’annonce est incertain. Le dérèglement climatique, les tensions politiques et sociales, les crises successives rendent l’avenir difficile à lire. Mais l’espoir demeure, porté par ces petites révolutions quotidiennes que Charlotte Meyer met en lumière. Choisir d’accueillir un enfant en conscience, élever avec amour et respect, réinventer les liens familiaux, réconcilier parentalité et écologie : autant de graines semées pour demain.

« L’amour porté à nos enfants sera sans doute la meilleure arme pour renverser la donne funeste. »

Cultiver l’émerveillement, la liberté, la solidarité chez les enfants d'aujourd'hui, c'est peut-être, malgré tout, parier sur un futur plus beau, plus vivant, plus juste.

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