Changer de regard sur le handicap : témoignage de Pauline Mangin #232

Le handicap est encore trop souvent invisibilisé ou mal représenté dans notre société. Pourtant, 15 % des enfants vivent aujourd'hui avec un handicap. Comment changer de regard sur le handicap ? Comment offrir à ces enfants une place pleine et entière, débarrassée des stéréotypes et du misérabilisme ?

Dans cet épisode du podcast Les Adultes de Demain, Pauline Mangin, journaliste, fondatrice du webzine All Kids Are Cool Kids et maman de Marie-Lou, une petite fille porteuse d’un handicap rare, la microdélétion 2q37 revient sur son engagement contre les stéréotypes et les préjugés sur le handicap chez les enfants et dans leur famille. Pauline plaide pour une représentation plus juste et plus belle du handicap, et pour une société enfin pensée pour toutes les enfances.

Explorons avec elle les défis du quotidien quand le handicap s'invite dans la famille, la nécessité de réinventer l'inclusion, et l'importance de cultiver une vision positive et nuancée du handicap dès le plus jeune âge.

Le choc du diagnostic : entrer dans le monde invisible du handicap

Quand Marie-Lou naît prématurément, Pauline Mangin découvre un monde dont elle ne soupçonnait ni l'existence ni la difficulté : celui du handicap. Dès l’annonce du diagnostic, elle ressent un basculement brutal :

« Je l'ai vécu comme un monde qui s'écroule. »

Devenir parent est toujours un bouleversement. Mais lorsque la parentalité est complexifiée par le handicap, l’isolement est d’autant plus grand. Pauline confie ne pas s’être reconnue dans les discours classiques sur la maternité :

« Tout est très dirigé sur l'âge, par exemple. Et ça, c'est vraiment quelque chose contre lequel j'ai essayé de militer. Je préfère qu'on parle en termes d'acquisition de compétences plutôt qu'en termes d'âge, parce que ça permet d'"inclure" vraiment tout le monde. Même pour les enfants neurotypiques, cette question d'âge, elle n'a un peu aucun sens, parce que les enfants ont tous des plans de développement qui sont, dans tous les cas, assez différents. »

Dans le monde nouveau de la parentalité qu'intègrent Pauline et son mari, tout semble pensé pour les enfants neurotypiques. La réalité des enfants handicapés, elle, reste invisible. Elle trouve peu de ressources adaptées, peu de représentations positives dans les médias. Pauline se heurte à un immense vide :

« Sur le handicap, en fait, il n'y avait rien. Aucun conseil qui était raccord. »

Cette invisibilité des enfants handicapés participe au sentiment d'isolement des familles. Non seulement elles doivent composer avec les défis médicaux et éducatifs, mais elles se retrouvent aussi confrontées à une société qui peine à reconnaître leurs enfants comme pleinement légitimes.

Face à cette solitude, Pauline décide de créer son propre espace de représentation : All Kids Are Cool Kids. Un média pour montrer que les enfants handicapés existent, qu'ils sont beaux, dignes, et pleinement vivants.

Changer de regard sur le handicap : webzine All kids are cool kids

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Vivre pleinement avec le handicap : entre obstacles et petites victoires

Handicap : affronter « l'invisible tentaculaire »

Contrairement aux idées reçues, vivre avec un enfant handicapé n'est pas une tragédie permanente. En tous les cas, c'est ainsi que Pauline Mangin souhaite que cela soit perçu et elle le rappelle avec force :

« Avec le handicap, on vit compliqué, certes, mais on vit, on vit pleinement. »

Le quotidien reste riche en rires, en découvertes, en moments partagés. Mais il est aussi jalonné d’obstacles invisibles pour ceux qui ne les vivent pas :

  • enchaînement des rendez-vous médicaux ;

  • lourdeur des démarches administratives ;

  • nécessité d'adapter en permanence l'organisation familiale.

Pauline détaille :

« Une petite semaine, c'est trois rendez-vous médicaux. Ce qui oblige, en fait, l'un des deux parents à aménager sa vie professionnelle pour ça, en fait. Ou alors d'avoir une entreprise qui a des politiques dédiées aux parents aidants. »

Et nous avions vu que ces contraintes incombent souvent à la mère, dans l'épisode sur les enfants neuroatypiques. Elles se retrouvent à adapter leur vie professionnelle ou à renoncer à certaines ambitions.

À ces défis s'ajoutent les lenteurs administratives. Obtenir un accompagnement scolaire adapté, comme une AESH, relève parfois du parcours du combattant. Pour l'entrée à l'école de sa fille, Pauline Mangin a dû prendre son élan :

« On a fait une demande à MDPH très, très tôt, en octobre, pour avoir une AESH, parce que comme Marie-Lou ne parle pas, ni ne marche, elle a besoin de quelqu'un vraiment d'individualisé qui l'accompagne. J'ai aussi commencé à contacter des écoles, et pendant huit mois, il n'y en a aucune qui m'a répondu. J'ai laissé des messages beaucoup en disant « Est-ce que vous prenez des enfants avec des handicaps ? » Et personne ne revenait vers moi. »

Elvire Cassan avait elle-même témoigné de ces difficultés et lourdeurs administratives pour monter un dossier MDPH et espérer obtenir quelques heures d'AESH dans l'épisode sur Comment aider un enfant dys.

Se réjouir des petites avancées

Et pourtant, malgré ces combats, Pauline insiste sur l'importance de savourer les joies du quotidien :

« Il faut savoir que chez nous, les victoires, elles sont peut-être plus petites. Elles peuvent passer pour invisibles auprès des autres. Mais nous, chaque petite victoire, c'est un souffle nouveau, en fait. »

Parmi les autres réjouissances, Pauline Mangin signale aussi la place qu'occupent la culture et les arts dans leur vie.

« Quand on était chez la généticienne, elle nous avait prévenus tout de suite que les enfants avec des conditions génétiques [telles que Marie-Lou notamment] avaient une vraie appétence pour les domaines artistiques, la musique, etc. C'est d'ailleurs dans la fiche médicale de sa condition, qui est la microdélétion 2q37. Elle peut développer, en fait, compenser certaines limitations par une vraie appétence pour la musique. »

C'est une des formes d'expression qui ne passent ni par la parole ni par la marche, et qui ouvrent de nouveaux possibles. Ainsi, Marie-Lou fait de la musique depuis qu'elle est petite et prend même des cours de piano.

« Et elle progresse de jour en jour, donc c'est génial. Nous, on tient vraiment à ce qu'en plus, l'art, la culture, ça fasse partie de sa vie parce que ça peut lui donner des opportunités en fait, plus tard. Elle adore peindre, par exemple. Si elle ne peut pas travailler dans un bureau, et je pense que ce ne sera pas possible vu qu'elle ne parle pas, peut-être qu'elle pourrait être artiste, ou peut-être qu'elle sera jardinière, mais on a vraiment envie de lui ouvrir le champ des possibles et de lui permettre de communiquer aussi autrement. », partage avec enthousiasme Pauline.

La culture devient alors un moyen d’expression, d’émancipation, d’identité.
Ce regard porté sur les compétences de l'enfant handicapé plutôt que sur ses manques fait partie de ces changements de regard, ces changements de perspective que Pauline appelle de ses vœux.

La représentation du handicap doit intégrer cette réalité. Elle ne doit pas se limiter à des récits de souffrance ou d'exploit. Il est essentiel de montrer la vie dans toute sa richesse : les défis, oui, mais aussi l’amour, la fierté, la normalité d’une famille différente.

Changer de regard sur le handicap : en parler aux enfants

Pour Pauline Mangin, il est essentiel de parler du handicap aux enfants dès le plus jeune âge, sans tabou ni dramatisation. À la maison, elle valorise avant tout la différence comme une richesse :

« La différence, c’est trop cool, en fait, parce que tout le monde est différent et que les gens s’apprécient souvent beaucoup sur leur différence. Même si on se rejoint sur des points communs, etc., ce qu'on va apprécier chez l'autre, c'est son prisme, en fait. Donc, la différence. »

Cette approche bienveillante prend tout son sens depuis la naissance de son deuxième enfant, Léon. Si les comparaisons sont inévitables, Pauline a dû déconstruire ses propres réflexes :

« Au début, on s'était dit, naïvement, que quand Léon marcherait, Marie-Lou marcherait aussi. Spoiler alert : non. »

Lorsque Léon fait ses premiers pas, l’émotion est mêlée. D’un côté, la fierté pour son fils. De l’autre, la peur que Marie-Lou ressente un décalage douloureux. Mais Pauline réalise que cette inquiétude est surtout le reflet de sa propre projection de femme valide :

« En fait, ma fille, son quotidien, c’est de ne pas marcher. Elle ne montre pas de signes de frustration. »

Peu à peu, elle apprend à considérer ses enfants pour ce qu’ils sont : deux personnes aux rythmes et aux besoins différents, à accompagner avec équité et confiance. Elle veille désormais à valoriser chacun selon ses propres progrès :

« Si je félicite Marie-Lou pour quelque chose, je félicite Léon pour autre chose. Et inversement. »

Les livres jeunesse sont aussi des alliés précieux dans cette éducation ouverte. Pauline partage ses coups de cœur : Elmer, de David McKee, un éléphant multicolore qui assume sa singularité, ou encore Mon corps à moi, d'Élise Gravel, un ouvrage qui célèbre la diversité des corps et des capacités.

« Un livre génial que j'offre à tout le monde, c'est Mon corps à moi, avec des petits personnages, des formes. Et en fait, dès le plus jeune âge, ça plaît parce que ce ne sont pas des humains identifiés, mais du coup, ça aide bien. On voit les cheveux différents, des capacités différentes, le fait aussi qu'on ait des compétences ou des capacités différentes au fil de la journée, qu'on peut se sentir malade, fatigué, etc. On lui a lu à fond, tellement que le livre est déchiré en mille morceaux et il va falloir que je le rachète bientôt. »

En exposant naturellement ses enfants à des récits inclusifs, Pauline contribue à déconstruire les préjugés avant qu’ils ne s’installent. Car la meilleure façon de changer de regard sur le handicap, c’est peut-être de commencer par éduquer les plus jeunes au respect de toutes les différences. À ce titre, signalons que nombre d'associations spécifiques à certains handicaps peuvent intervenir dans les écoles pour mener des actions de sensibilisation autour du handicap mental, du handicap physique avec parfois test des fauteuils roulants, du handicap visuel avec la venue d'un chien guide d'aveugle, etc.

Changer de regard sur le handicap : sensibiliser les plus jeunes avec la littérature jeunesse

Mon corps à moi, d'Élise Gravel

Faire évoluer la société en changeant les représentations sur le handicap

Pour Pauline Mangin, changer la société passe d'abord par changer la représentation du handicap.
Aujourd'hui encore, dans les médias et l'imaginaire collectif, les enfants handicapés sont trop souvent enfermés dans deux récits extrêmes : l'hyper-héroïsation ou le misérabilisme.

« Soit ça va être le petit ange courageux qui est là pour inspirer les gens valides, soit ça va être la tragédie, les larmes, etc. »

Or, ni Marie-Lou, ni tant d'autres enfants, ni leurs familles ne se reconnaissent dans ces images déformées. Le handicap fait partie de leur vie, avec ses défis, mais aussi avec ses joies, ses talents, son quotidien normal.

Avec All Kids Are Cool Kids, Pauline milite pour des représentations plus nuancées, audacieuses et belles.
Le projet veut montrer des enfants et des familles qui vivent, créent, rient, voyagent, aiment — et pas seulement sous le prisme du manque ou de la performance.

« Et en fait, notre vie, ce n'est pas ça. Et je ne suis pas la seule à le ressentir. Tous les parents d'enfants handicapés, que je connais, les familles, etc., m’ont dit qu’ils ne se reconnaissent pas là-dedans. Ça ne veut pas dire qu'il faut minimiser ce qu'on vit, les complexités, etc. Mais on vit pas des tragédies avec le handicap pur et dur. Il y a des problématiques de santé qui peuvent être plus tragiques, bien sûr. Mais c'est différent. Avec All Kids Are All Kids, j'ai envie d'insuffler, en fait, un renouveau dans le récit. »

Ce combat est aussi un combat contre le validisme, c’est-à-dire l'idée insidieuse que les personnes valides seraient la norme et que les autres devraient être « intégrées ».
Pauline revendique une approche plus radicale :

« Moi, je pense pas qu’il faut inclure. Je pense qu’il faut arrêter d’exclure. »

Pauline précise :

« Parce que dans ce qu'on appelle la culture CRIP, c'est la culture antivalidiste, le mot inclusion est décrié à raison parce qu'en fait, il sous-tend une hiérarchisation des personnes. C'est-à-dire que le handicap ne serait pas une variété comme une autre, voilà. Et moi, ça me pose problème. Parce qu'en fait, si on doit inclure, c'est que forcément, t'es une exception, il faut faire un effort, etc. Si on repense toute la société, dès le départ, en partant de la différence en tant que norme, on va aller plus à l'essentiel. Et on ne s'adaptera pas qu'au handicap. On va s'adapter à tous les enfants, notamment. »

Parce que finalement, chaque enfant a besoin d'un accompagnement adapté. Cette vision rejoint pleinement l’enjeu de l’éducation au handicap : non pas demander aux enfants "différents" de s’adapter à un monde rigide, mais apprendre à tous les enfants à accueillir la diversité comme une richesse naturelle.

Mais le combat va plus loin que la seule image. Pour Pauline, le véritable problème n’est pas le handicap en soi, mais une société qui refuse de s’y adapter.

« Ce dont les personnes handicapées sont victimes, c'est plus de la société qui n'est pas accessible, qui la regarde de travers, qui considère que les personnes handicapées sont des sous-personnes, qui n'ont pas les mêmes besoins, les mêmes droits, et qui ne sont pas des vraies personnes, qui n'ont pas de personnalité. »

Sa fille Marie-Lou, par exemple, communique autrement : avec ses mains, ses yeux, des sons, bientôt une tablette. Et cela fonctionne.

« Elle arrive à avoir ce qu'elle veut. Et puis si elle l’a pas, elle crie un bon coup. »

Ce qui entrave réellement son quotidien, ce n’est pas son absence de langage verbal, mais le fait que la société n’a pas été pensée pour les personnes qui ne parlent pas.

Vers un monde où toutes les enfances sont reconnues

À travers son engagement et son témoignage, Pauline Mangin trace une voie lumineuse : celle d’un monde où toutes les enfances seraient reconnues, respectées et célébrées pour ce qu'elles sont, sans condition.

En créant All Kids Are Cool Kids, elle milite pour que chaque enfant, quel que soit son parcours, puisse se sentir légitime et visible. Elle nous invite à regarder autrement, à sortir du validisme, et à offrir à nos enfants un imaginaire où la différence n’est pas un obstacle, mais une richesse.

Son souhait pour les enfants d’aujourd'hui, futurs adultes de demain, est simple et essentiel :

« Je leur souhaiterais à tous de pouvoir rêver, d'avoir les mêmes opportunités. »

Un monde plus juste commence par changer notre regard. Cela passe par l’éducation au respect de toutes les singularités, dès l’enfance. À travers des initiatives comme la sienne, les graines d’un futur plus solidaire et plus beau sont déjà semées.

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