Bébé hospitalisé en néonatalogie avec Clémentine Goldszal #235

Un bébé hospitalisé en néonatalogie à sa naissance, c'est très loin de ce que s'imaginent des futurs parents. Et pourtant... Le nouveau-né est souvent séparé de sa mère, plongé dans un environnement médicalisé, relié à des machines, surveillé en continu. Son arrivée au monde se joue alors sous le signe de la survie.

Dans un épisode bouleversant du podcast Les Adultes de Demain, Stéphanie d’Esclaibes donne la parole à Clémentine Goldszal, journaliste et autrice de Premiers cris (Éditions du Seuil). Pendant six mois, elle a partagé le quotidien d’un service de réanimation néonatale à l’hôpital Necker.

À travers ce reportage sensible, Clémentine Goldszal rend visibles ces bébés dont « on détourne le regard », mais aussi leurs parents et les soignants qui les entourent. Que vit un nouveau-né hospitalisé ? Comment survit-on à ces premiers jours hors norme ? Que reste-t-il de cette expérience, parfois des années plus tard ? C’est à ces questions que répond cet article.

Ce que traverse un bébé hospitalisé en néonatalogie

Une arrivée au monde brutale et différée

La naissance d’un bébé hospitalisé en néonatologie ne suit pas le cours attendu. Elle peut survenir bien avant terme ou être marquée par une pathologie détectée in utero. Dans tous les cas, elle implique une séparation immédiate d’avec la mère. L’enfant passe brutalement du milieu aquatique au monde extérieur, aérien, sans transition.

Clémentine Goldszal parle d’un « moment un peu suspendu » où le bébé semble hésiter à rester dans le monde. Elle évoque ce temps étrange où le nourrisson paraît « pouvoir aussi bien retourner, de là où il vient ». Pour les nouveau-nés malades, cette phase de flottement peut durer.

 « Ce qui se joue pour les bébés de la néonat, c’est la vie, la survie en bonne santé. Ils n’ont pas tous des pronostics et des diagnostics catastrophiques, mais ce sont des bébés qui sont malades, particulièrement à Necker, parce que c’est un grand hôpital pédiatrique et que c’est un centre de référence pour des pathologies très complexes. [...] L’idée vraiment qui infuse tout le service, c’est de sauver leur corps, mais aussi de les faire naître au monde. Et ça prend du temps. [...] Il faut effectivement que leur organisme puisse fonctionner », témoigne Clémence Goldszal.

Ainsi, quand il y a des pathologies digestives, par exemple, il faut soigner la pathologie, puis entraîner tout le système digestif pour qu’il arrive à fonctionner de manière autonome. Mais les équipes prennent aussi soin de la psyché de leurs petits patients, pour les convaincre de s'accrocher. 

Quand ces bébés sortent du service, parfois après plusieurs mois, c'est une forme de naissance différée, rendue possible par les soins, les machines, et le lien maintenu avec les parents.

La douleur du nouveau-né : un impensé longtemps ignoré

Pendant longtemps, les soignants ont cru que les prématurés ressentaient peu ou pas la douleur. Leur système nerveux était considéré comme trop immature. Or, on sait aujourd’hui que c’est l’inverse : leur immaturité cérébrale les rend plus sensibles encore à la douleur.

La prise en charge a progressé. Le goût sucré, la succion, le peau-à-peau sont désormais utilisés pour soulager. Des IRM ont montré leur effet réel sur le cerveau.

« Ce n’est pas cosmétique. J’ai compris que le goût sucré, comme la succion, produisent dans le cerveau des nouveaux-nés des endorphines, et ça a un effet analgésique, très, très, très fort », insiste Clémentine Goldszal.

Mais ces gestes n’effacent pas l’intensité des soins subis. Clémence Goldszal évoque même les opérations in utero sur les fœtus. Jusqu'à très récemment, on anesthésiait la mère, mais pas le fœtus. Depuis peu de temps, le corps médical se demande si le fœtus ne devrait pas être anesthésié également... Ces découvertes récentes posent une question vertigineuse :

« Est-ce qu’on est en fait les barbares de nos enfants qui deviendront des médecins qui soigneront nos nouveaux-nés ? »

La communication vitale du nourrisson

Le nouveau-né ne parle pas, mais il communique sans cesse. Sa survie dépend même de cette communication non-verbale. Il exprime sa faim, son inconfort, sa détresse. En retour, les adultes ajustent leurs soins, leurs gestes, leur présence.

Clémentine Goldszal se voit comme une « interprète » de ces signaux muets. Elle insiste :

« Non seulement il communique, mais c’est une communication qui est vitale pour lui. »

Ce langage sans mots constitue le premier lien avec le monde. Ne pas le reconnaître, c’est risquer de passer à côté de ce que le bébé nous dit.

 « J’ai l’impression qu’en chacun de nous, il y a quelque part un nouveau-né qui essaye de faire comprendre des choses à l’autre, avec un grand A, et qui est mal compris », confie-t-elle.

Cette quête d’un langage sans mots est au cœur de son livre. Devenir mère l’a confrontée à un vide : cela la renvoie à sa propre venue au monde, au vide narratif autour de sa naissance, à l’absence de récits précis, au flou dans lequel baignent les tout premiers jours de vie. Elle cherche des réponses dans les livres, chez Winnicott, chez Dolto, mais reste sur sa faim :

« Je ne trouvais pas assez de matériaux, même philosophiques ou métaphysiques, sur ce que c’est que naître. »

La philosophe Marie Robert avait d'ailleurs dressé le même constat sur cette absence de réflexion philosophique sur la maternité, sur le fait de devenir mère.

Clémence Goldszal envisage un moment de faire un livre sur sa pédiatre, fascinée par la relation entre les soignants et les tout-petits. Mais l'idée évolue :

« Où est-ce qu’il y a des nouveau-nés qui restent un peu longtemps, et des médecins qui savent les lire, les regarder ? »

Elle comprend alors que ce sont les bébés hospitalisés, souvent prématurés ou malades, qui incarnent ce moment de la vie suspendu, prolongé. Ce sera donc au sein de l'hôpital Necker qu'elle ira « tendre le micro » ou à défaut interpréter les signaux des nouveaux-nés et leur offrir un espace de récit. C'est d'ailleurs ce même hôpital qui a accueilli le fils d'Aude Lafitte, décédé du syndrome du bébé secoué à 2 mois de vie Elle aussi s'engage pour rendre visibles les tout-petits de 0-3 ans et prévenir les violences faites aux bébés.

Les bébés hospitalisés sont absents des représentations, marginalisés dans les débats publics, oubliés par la littérature comme par les sciences sociales.

 « On ne les regarde pas. Sous prétexte qu’ils ne peuvent pas s’exprimer, on ne les questionne jamais. »

Son immersion vise à donner à voir cette communication invisible, à mettre en mots ce qui ne l’a jamais été, à rendre justice à ceux qui n’ont pas encore de voix. À travers ses observations, elle cherche à révéler la finesse, l’intensité et la nécessité vitale du lien entre le nouveau-né et le monde.

Elle veut que le lecteur voie ce que vivent ces bébés, leurs parents et les soignants. Son livre est un acte de témoignage mais aussi de réparation :

« De se représenter ce qu’on a traversé, il me semble que ça aide. Parce qu’en fait, c’est souvent moins pire que ce qu’on imagine quand on est adulte. »

Ce que vivent les parents : choc, solitude, responsabilité

Le traumatisme d’un départ de vie inattendu

Quand un bébé est hospitalisé à la naissance, la sidération est immédiate. Certaines familles ont été prévenues pendant la grossesse. D’autres sont projetées dans l’inconnu sans aucun signe avant-coureur. Dans tous les cas, la confrontation avec la réalité du service est brutale. Clémentine Goldszal parle d’une « chute de l’Éden » que pouvait représenter la grossesse.

Le choc est aussi visuel. Les grands prématurés sont minuscules, parfois rouges, fragiles. D’autres enfants présentent des malformations visibles ou sont reliés à de multiples appareillages.

« Les bébés de la néonat, ils ne ressemblent pas aux bébés qu’on voit dans les livres sur la grossesse », rappelle-t-elle.

Ce n’est pas l’enfant rêvé. Ce n’est pas l’accueil espéré.

Une place à trouver pour le parent en milieu médicalisé

À l’hôpital, les parents sont appelés « partenaires de soins ». On les encourage à toucher leur bébé, à faire du peau-à-peau, à prendre part aux gestes simples du quotidien. Ces rituels sont essentiels. Pour le lien, pour le développement du bébé, pour le bien-être psychique de tous.

Mais la place du parent reste difficile à prendre. L’environnement est très technique. Les soignants sont omniprésents. Les appareils imposent des gestes codifiés. Les parents doivent parfois « demander la permission d’être parents ». Et les conditions matérielles ne suivent pas.

« Il y a des parents dans le service qui dorment par terre », observe Clémentine Goldszal, soulignant l’inadéquation criante entre la volonté de bien faire et les moyens réels.

Très peu de services de néonatologie français permettent aux parents de dormir sur place. Certains dorment sur des chaises. D’autres, à même le sol.

« On leur dit, vous pouvez rester 24h sur 24, mais si vous restez, vous dormez là où vous pouvez. »

Ce manque de soutien logistique pèse sur la création du lien entre les parents et leur enfant, ce lien essentiel dont a parlé Gabrielle Douieb dans l'épisode sur la théorie de l'attachement. Et il fragilise encore davantage des parents déjà en état de choc.

 « C’est très important que ce lien se fasse, parce que sans ce lien, il n’y a pas de vie, en fait. Le bébé, il vit dans le lien », confirme Clémentine Goldzsal.

L’après : la sortie de l’hôpital, un nouveau vertige

Le retour à la maison ne marque pas la fin de l’épreuve. Pour certains parents, il représente même une nouvelle forme d’angoisse. À l’hôpital, chaque signe vital était surveillé, chaque signal analysé. Une fois seuls, le silence devient inquiétant.

« Quand on retire les machines, c’est le vertige », explique Clémentine Goldszal.

D’autant que certains bébés sortent avec des soins lourds à poursuivre. Les parents doivent alors apprendre à manier des sondes, gérer des gestes techniques, parfois vitaux. Ils deviennent des aidants, presque des infirmiers. Le besoin de soutien est immense.

Des dispositifs existent : psychomotricité, kiné, ostéopathie, accompagnement psychologique. Mais le parcours reste semé d’incertitudes. Le sentiment de solitude persiste. Et beaucoup de familles sortent sans savoir vraiment ce que leur bébé a traversé.

Rappelons que le taux de mortalité infantile (chiffres Insee) a légèrement augmenté pour s’établir à 4,1 pour 1000 en 2024. Or, cette hausse s’explique uniquement par celle de la mortalité de 1 à 27 jours de vie, qui est passée de 1,5 pour 1000 à 2 pour 1000.

Bébé hospitalisé en néonatalogie : Premiers cris de Clémentine Goldszal

©Shvetsa

Ce que ces premiers jours d'un nouveau-né hospitalisé laissent comme traces

Traces visibles et invisibles du passage en néonatalogie

Les bébés passés par la néonatologie ne sortent pas tous indemnes. Certains conservent des séquelles physiques ou neurologiques : problèmes de coordination, troubles de la vue ou de l’audition, hypersudation... D’autres développent des troubles du neurodéveloppement, parfois discrets mais persistants.

Les traces sont aussi psychiques. L’expérience de séparation, de douleur, de solitude laisse une empreinte. Clémentine Goldszal le dit clairement :

« Ce sont des adultes qui restent en général très sensibles à la douleur, plus que les autres. »

Elle évoque aussi des témoignages d’adultes nés prématurés, cherchant des réponses à leurs angoisses de séparation ou à leurs troubles de l’attachement. Pour beaucoup, comprendre leur début de vie éclaire leur trajectoire.

« Il y a des gens qui m’ont écrit en disant : ‘Je suis né à 32 semaines, et je me demande pourquoi j’ai des troubles de l’attachement’ », rapporte-t-elle.

Pour certains, son livre agit comme un premier miroir.

Le poids du silence et du manque de représentation de ces naissances différées

Ces histoires de bébés hospitalisés en néonatalogie restent peu racontées. Le nouveau-né hospitalisé est presque absent des récits, de la littérature, des sciences humaines.

Or, « ce qu’on ne regarde pas, on le soigne mal », affirme Clémentine Goldszal.

Le silence autour de cette expérience renforce le sentiment d’invisibilité. Il entrave aussi les progrès du soin.

Même dans les débats politiques ou médicaux, les bébés concernés sont souvent oubliés. Leur vécu n’est pas interrogé. Le manque de représentations pèse sur les familles, mais aussi sur les adultes qui ont vécu cela sans en avoir de souvenirs précis.

« Tout ce qui est mystérieux fait peur », rappelle l’autrice.

Donner à voir, même sans image, c’est déjà commencer à réparer.

Le rôle primordial des soignants et les limites du système

A travers son livre, Clémentine Goldszal a également souhaité mettre en lumière les soignants et leurs conditions d'exercice. Ils jouent un rôle central. Leur engagement est profond. Leur regard, leur présence, leurs gestes quotidiens contribuent à faire naître ces bébés au monde. Mais ils exercent dans un cadre sous tension.

À Necker, « le taux d’occupation des lits dépasse aujourd’hui 95 % ».

Et ce pourcentage, pour un service qui doit accueillir des soins critiques, c'est problématique. On ne peut prévoir à l'avance combien de bébés vont avoir besoin de venir à Necker (de la France entière par exemple), dans une même journée.

« Quand on est plein à 95 %, on n’a pas cette flexibilité-là pour accueillir les nouveaux-nés qui en ont besoin. Et ça représente, d’une part, effectivement, un stress certain quantifié, quantifiable chez les soignants, et ça représente aussi des pertes de chance pour les nouveaux-né », pointe Clémentine Goldszal.

Par ailleurs, par manque de personnel, certains lits restent fermés toute l’année. Et la surcharge devient la norme.

Cette pression pèse sur les équipes. Elle favorise les erreurs. Elle fragilise l’accompagnement.

« C’est un système qui repose sur la passion, la dévotion » dit Clémentine Goldszal.

Mais cette passion ne suffit plus. La pénurie rend parfois les soignants maltraitants malgré eux. Ils sont aussi en souffrance.

Dans ce contexte, les décisions éthiques deviennent encore plus complexes. Chaque choix — poursuivre un traitement, le suspendre, temporiser — peut avoir des effets irréversibles. Et dans l’incertitude qui entoure les nouveaux-nés, « ce sont des chiffres qui n’ont plus aucun sens » face aux visages de ces bébés et de leurs parents.

 

Les bébés hospitalisés en néonatologie vivent une expérience extrême, souvent tue, rarement représentée. Pourtant, ces premiers jours marquent une vie entière. Les reconnaître, les regarder en face, c’est déjà mieux les accompagner.

Son travail appelle à une médecine plus humaine, à une société plus attentive aux tout-petits et à ceux qui les entourent. Elle exprime aussi un souhait fort : que l’on mène enfin une grande enquête sur les anciens bébés de néonatologie. Ceux qui, après avoir survécu, ont grandi. Et qui portent en eux les traces silencieuses de leurs premiers cris.

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