La phobie scolaire, le burn-out des jeunes avec Aurélie Harf #180

La phobie scolaire ne figure pas aujourd’hui dans les classifications médicales. Pourtant, ce trouble de la santé mentale touche au minimum un enfant par classe. Aurélie Harf, pédopsychiatre, qui accompagne les enfants et leur famille au sein notamment de la maison des adolescents à Paris, a répondu à toutes les questions que l’on se pose sur le refus scolaire anxieux. Quels en sont les symptômes, les causes et peut-on s’en sortir ?

Qu'est-ce que la phobie scolaire ?

Au micro du podcast Les Adultes de Demain, Aurélie Harf donne la définition suivante, utilisée en France, de la phobie scolaire : « une peur irrationnelle d'aller à l'école, qui va se manifester par des réactions d'anxiété, notamment quand on essaie de forcer l'enfant à y aller ». 

Également appelée refus scolaire anxieux, la phobie scolaire a toujours été distinguée de l'école buissonnière. Cette dernière est vue comme un choix délibéré de l'élève d'éviter l'école pour poursuivre d'autres intérêts : il sèche. Aurélie Harf souligne toutefois que cette distinction est devenue moins tranchée avec le temps, car de nombreux cas dits d'école buissonnière étaient en fait motivés par une anxiété profonde

Par ailleurs, une certaine stigmatisation liée au milieu socio-économique de l'élève influençait cette classification, tendant à réserver le terme de « phobie scolaire » aux milieux plus favorisés.

Les enfants souffrant de phobie scolaire sont-ils plus nombreux ?

On peut avancer qu’avant, on repérait moins ces enfants. Néanmoins, Aurélie Harf note que depuis une quinzaine d’années, ce nombre de phobies scolaires explose. Même s’il n’existe pas de moyens fiables et rigoureux de le quantifier, on estime qu’il y a au moins un enfant par classe qui souffrirait de phobie scolaire. Et cette situation est probablement sous-estimée. L'évolution de la perception de la phobie scolaire au fil du temps reflète une prise de conscience croissante de la complexité des troubles anxieux chez les enfants et les adolescents.

Qui souffre de refus scolaire anxieux ?

La phobie scolaire est très égalitaire. Elle touche aussi bien les garçons que les filles, de tous les milieux socio-économiques et classes socio-professionnelles et dans toutes les tranches d’âge. Selon l’âge, la manifestation ne sera pas la même et surtout, il est plus facile d’obliger un jeune enfant d’aller à l’école qu’un adolescent. 

Les pics de fréquence de la phobie scolaire sont généralement au moment des grands changements, comme l’entrée en sixième ou au lycée. Néanmoins, l’ensemble des professionnels constatent que les enfants affectés sont de plus en plus jeunes. Si le nombre de cas déclarés était plus élevé en fin de collège et au lycée, c’est aujourd’hui dès l’entrée au collège que certains enfants ne parviennent plus à franchir les portes de l’établissement. 

Quels sont les symptômes de la phobie scolaire ?

La phobie scolaire se manifeste de diverses manières. Elle affecte à la fois le corps et l'esprit. Les signes physiques incluent souvent :

  • des maux de ventre ;

  • des nausées ;

  • des vertiges ;

  • des maux de tête ;

  • une fatigue excessive.

Ces manifestations physiques sont particulièrement trompeuses, car elles peuvent facilement être confondues avec des maladies somatiques.

Sur le plan psychologique, les enfants et adolescents peuvent exprimer :

  • une anxiété aiguë ;

  • un sentiment de détresse à l'idée d'aller à l'école ;

  • ou un évitement complet de l'environnement scolaire.

Une détection précoce rendue difficile par des symptômes masqués

Aurélie Harf souligne combien il est difficile de détecter la phobie scolaire dès ses premiers signes, principalement parce que les symptômes peuvent être subtils et masqués.

Les enfants et adolescents atteints de phobie scolaire essaient fréquemment de cacher leur anxiété pour diverses raisons, comme la peur du jugement ou le désir de ne pas inquiéter leurs proches. Cette dissimulation rend le diagnostic précoce complexe, car les signes extérieurs peuvent être attribués à des causes moins graves ou totalement différentes. 

Donc, une phobie scolaire ne se voit pas forcément, contrairement à une jambe cassée. Les adolescents qui en souffrent essaient souvent de jouer le jeu, de tenir leur rôle, de garder les apparences, afin qu’on ne voie pas ce qui se passe à l’intérieur d’eux : leurs angoisses, leur mal-être, leur souffrance, leur détresse.  Et cette dissimulation entraîne souvent des jugements et de l’incompréhension.

Phobie scolaire : des manifestations variables 

La phobie scolaire ne se présente pas de la même manière chez tous les individus, comme le précise Aurélie Harf. La plupart ne sont pas particulièrement en difficulté scolaire. Ils ont plutôt un bon niveau et maintiennent, au moins au début, des bonnes notes. Ils vont tenir leur scolarité, leurs résultats… en luttant. 

Le tableau est cependant hétérogène :

  • Certains vont s'isoler, se replier sur eux-mêmes à la maison, éprouver de grandes difficultés dans leurs relations avec les autres et souffrir parfois d’une vraie phobie sociale. 

  • D’autres vont poursuivre leurs activités extra-scolaires sans problème. Ces enfants gardent la possibilité d’être en lien avec les autres. Il n’y a qu’avec l’école que cela bloque. 

C’est dans ces derniers cas que l’entourage manifeste généralement son incompréhension, face à ces maux qui :

  • apparaissent au moment d’aller à l’école ;

  • diminuent pendant les vacances ;

  • n’empêchent pas de continuer à voir des amis à l’extérieur. 

Les jugements peuvent vite arriver : « c’est de la mauvaise volonté, il n’y met pas du sien. S’il allait si mal que ça, il ne parviendrait pas à aller au judo, à la danse, au foot… ».

La phobie scolaire n’est pas synonyme d’un arrêt de tout. 

Causes et facteurs contributifs de la phobie scolaire

Aurélie Harf explique que la phobie scolaire ne peut être attribuée à une cause unique. Ce trouble complexe résulte souvent d'une combinaison de facteurs individuels, familiaux, scolaires et sociétaux

Parmi ces déclencheurs, on trouve :

  • les difficultés d'apprentissage non diagnostiquées ;

  • les troubles anxieux ou autres troubles psychiatriques ;

  • les expériences traumatisantes telles que le harcèlement scolaire ;

  • les dynamiques familiales stressantes ou surprotectrices ;

  • la pression du système scolaire et sociétal.

Cette multiplicité de causes souligne la nécessité d'une approche globale et personnalisée pour chaque cas de refus anxieux scolaire.

Impact du système scolaire et de la pression sociale

Depuis quelques années, au-delà de la phobie scolaire, on parle même de burn-out des adolescents. Cela serait une corrélation entre la pression très forte liée aux systèmes scolaire et post-bac et à une perte de sens. « Les adolescents ne voient plus le sens de se battre pour tenir cette pression. Ils s’épuisent et ils lâchent. »

Le système scolaire, avec ses exigences académiques élevées et son environnement parfois compétitif, joue un rôle significatif dans l'exacerbation de la phobie scolaire. Aurélie Harf témoigne avoir reçu des adolescents extrêmement anxieux, manifestant des peurs de l'échec, du jugement des pairs ou de la famille, et de la difficulté à s'intégrer socialement.

Atypie et non-conformité au moule

Dans bien des cas de phobie scolaire, les professionnels notent une certaine atypie chez leurs patients. On peut dire qu’ils ne « rentrent pas dans le moule standard du système scolaire ». Et souvent, depuis longtemps.

De nombreuses raisons peuvent expliquer ce lien. Ce sont des enfants parfois :

  • plus dans le monde de l’imagination ;

  • avec un rapport au monde différent ;

  • avec un haut potentiel intellectuel, etc.

Lorsque les professionnels de santé cherchent à établir les origines de la souffrance de l’adolescent, ils explorent s’il n’y a pas quelque chose dans le registre du trouble du spectre autistique, un décalage en lien avec un haut potentiel ou une créativité exacerbée

Le fait est que dans le système scolaire actuel, ne pas pouvoir se conformer pose un problème. Et lorsque cet écart entre les attentes et l’enfant est trop important, depuis fréquemment la maternelle, une souffrance s’installe. Les adolescents témoignent régulièrement avoir essayé de tenir, de jouer un rôle, pendant de longues années, jusqu’à ne plus pouvoir.

Phobie scolaire : comment s'en sortir ?

Quand l’enfant arrive dans cet état d’épuisement, d’impossibilité de poursuivre, tout un travail d’accompagnement va être nécessaire. L’objectif sera qu’il se retrouve lui-même, qu’il retrouve qui il est, qu’il regagne confiance en lui, dans ses propres ressources et sa créativité afin qu’il puisse prendre un chemin qui lui correspond.

Conseils pour les adolescents en refus scolaire anxieux

Les jeunes qui souffrent de phobie scolaire ont besoin d’une prise en charge adaptée : un accompagnement personnalisé et un soutien psychologique pour adresser l'anxiété sous-jacente. Les besoins spécifiques de chaque adolescent doivent être pris en compte, afin de proposer un plan de soin qui peut inclure thérapie, soutien scolaire adapté, et interventions ciblées pour gérer l'anxiété. La scolarité ne doit en effet pas être oubliée, même si elle est réduite, aménagée, etc. Il faut éviter de couper totalement le scolaire afin que le retour puisse s’envisager sans trop de décrochage. C’est également important pour la confiance en soi, qui peut complètement s’effondrer de nouveau si l’enfant est perdu à son retour en classe. 

Il est important d’encourager l'expression créative et le suivi de passions hors du cadre scolaire. En effet, les activités extrascolaires peuvent offrir un exutoire pour les tensions et contribuer à l'estime de soi. Aurélie Harf recommande de soutenir les jeunes afin qu’ils poursuivent des intérêts et des passions qui les éloignent de la pression scolaire et favorisent ainsi leur bien-être général.

Quant à la re-scolarisation, il convient de définir une stratégie de réintégration progressive et adaptée. Revenir à un environnement scolaire peut nécessiter une réintégration graduelle, en commençant par des périodes courtes et en augmentant progressivement le temps passé à l'école. Des aménagements spécifiques peuvent être nécessaires pour accompagner ce processus : emploi du temps adapté, voire établissement à petit effectif. 

Conseils pour les familles d’enfants phobiques scolaires

La première phase consiste pour les aidants à reconnaître et accepter la longueur du processus de guérison de leur enfant. Surmonter la phobie scolaire prend du temps. Pendant cette période, la patience et le soutien constant des proches sont essentiels. Il faut aussi avoir en tête que pour l’enfant, ce n’est pas vraiment une pause même si l’entourage le perçoit ainsi. Lui est au travail, il travaille intensément sur lui-même.

La place de la famille est centrale. Or, elle se sent souvent démunie, très inquiète. Un enfant qui sort du système scolaire, notamment au collège ou au lycée ne s’inscrit plus dans le processus de séparation individuation. Normalement, c’est l’âge où le jeune investit des groupes d’appartenance et se sépare des imagos parentales. L’idéal est que la famille soit également accompagnée. Il va lui falloir être à l’écoute de son enfant, valider ses émotions, rechercher des aides professionnelles, travailler en étroite collaboration avec les équipes pédagogiques et les professionnels de santé. 

Enfin, Aurélie Harf souligne l’importance de se défaire du jugement social et de suivre son intuition. Car qui mieux que les parents connaissent leur enfant. Ils doivent se concentrer sur ses besoins et non sur les opinions extérieures. 

Conseils pour les relations école-famille

La collaboration entre les familles et le système éducatif est fondamentale. Les enseignants, les équipes pédagogiques sont, elles aussi, souvent démunies face à ces enfants très régulièrement absents. 

Aurélie Harf insiste sur l'importance d'informer et de former le personnel éducatif sur la phobie scolaire, afin qu'ils puissent reconnaître les signes et apporter le soutien nécessaire. Cela les aidera aussi à créer un environnement accueillant et compréhensif pour ces élèves. Aujourd’hui, il n’y a ni référent phobie scolaire dans les établissements, ni formation. Les maisons des adolescents nouent des liens avec les structures scolaires pour pouvoir faire de la formation, trouver un référent, etc. C’est indispensable dans l’optique du retour de l’enfant dans l’établissement. 

Notons que parmi les mesures adaptatives à mettre en place dans les établissements scolaires, il peut s'agir :

  • d'aménagements tels que des horaires flexibles ;

  • de programmes d'études personnalisés ;

  • de la désignation d'un référent au sein de l'école pour accompagner l'élève dans son parcours de réintégration.

Au cours de l’épisode, Aurélie Harf illustre avec quelques expériences vécues par des adolescents et leurs familles, qu’elle a rencontrés à la Maison des Adolescents de Paris XIVe (Maison de Solenn). Les familles peuvent se tourner vers ces structures qui offrent un soutien multidisciplinaire, des professionnels de santé aux ateliers d’arts plastiques, de radios, etc. qui permettent aux jeunes de s’exprimer. Elles peuvent également s’adresser à lassociation Phobie Scolaire qui offre un espace de discussion, organise des conférences, offre des conseils et du soutien. 

Terminons avec ce message d’Aurélie Harf : « Faites confiance à votre ado et à vous-même. Faites passer ce message à votre enfant, surtout au départ, quand il ne voit plus du tout où cela le mène, qu’il y a une sortie à tout ça ». Rajoutons qu’Aurélie souhaite aux futurs adultes de demain de pouvoir continuer de croire en eux.

Référence : 

La phobie scolaire, retrouver le plaisir d’apprendre, Aurélie Harf et Laelia Benoit, Vigot, 2020

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