Pourquoi la jeunesse souffre-t-elle tant ? avec Jérôme Colin #176

Jérôme Colin, grande personnalité du monde de la radio, est l’auteur d’un roman intitulé Les dragons. Ce livre parle du mal-être des jeunes, de cette jeunesse qui soufre, que l’on ne voit pas ni n’écoute. Cet ouvrage traite des adolescents et plus particulièrement de ceux qui souffrent au point d’être internés en centre de soins. L’occasion d’aborder une réalité effrayante, de parler d’exclusion et de normalisation, de la nécessaire évolution du système scolaire, de l’importance du collectif et du soin des autres pour aller mieux. 

Le mal-être des jeunes : une réalité troublante

Dans un monde où l'adolescence est souvent perçue comme une période de découverte et d'insouciance, les statistiques que récoltait Jérôme Colin sur les jeunes, le laissaient dans l’incompréhension. 

Un enfant sur trois, entre 12 et 18 ans, déclare avoir des troubles anxieux ou souffrir de dépression, un enfant sur trois, lisait-il. Pire encore, un enfant sur dix a déjà envisagé le suicide. Cela signifie que dans une classe de 30 élèves, 3 ont déjà eu envie de mourir.

Alors Jérôme Colin a alors voulu en savoir plus sur ces chiffres alarmants. Ils étaient le reflet d’une génération en détresse. Il a voulu en savoir plus, découvrir qui se cachaient, généralement dans le silence, derrière ces statistiques bien sombres. Il a souhaité rencontrer ces jeunes qui luttent, qui souffrent. 

La santé mentale des jeunes : le choc des chiffres

La révélation de ces chiffres fut un véritable choc. Il ne parvenait pas à les intégrer. Ces statistiques étaient effrayantes, mais elles ne voulaient rien dire. C’est pourquoi Jérôme Colin a souhaité écrire un livre, pour comprendre… et au final, pour donner une voix à ces enfants.

Ces données brisent le mythe d'une jeunesse insouciante. Elles révèlent une crise de santé mentale chez les jeunes, qui doit être abordée avec urgence et compassion. Elles nous forcent à reconnaître que derrière chaque statistique se cachent des histoires individuelles de lutte, d'isolement et de douleur.

La pression invisible de l'adolescence

Ce mal-être des jeunes n'est pas un phénomène isolé, mais plutôt le symptôme d'une société qui impose des attentes et des pressions énormes sur ses jeunes. De la performance scolaire à l'acceptation sociale, en passant par les défis de l'identité personnelle et les influences des médias sociaux, les adolescents d'aujourd'hui naviguent dans un labyrinthe de stress et d'anxiété.

L'importance de l'écoute et de la compréhension

Face à ces réalités alarmantes, Jérôme Colin appelle à une meilleure écoute et compréhension des jeunes. Il préconise la création d’espaces sécurisés où les jeunes peuvent exprimer librement leurs inquiétudes, leurs peurs et leurs espoirs. Les écoles, les familles et les communautés doivent s'unir pour offrir un soutien et des ressources adaptées à cette nouvelle génération confrontée à des défis sans précédent.

Les dragons : un voyage au cœur de l'adolescence entre fiction et réalité

Dans son roman Les dragons, Jérôme Colin tisse une toile narrative où la fiction rencontre la réalité crue des hôpitaux psychiatriques pour adolescents. Ce roman, bien que fictif, plonge ses racines dans les expériences réelles et les interactions poignantes que l'auteur a eues avec de jeunes patients.

Pour écrire son livre, Jérôme Colin s’est immergé dans le quotidien des adolescents hospitalisés en psychiatrie. Pendant plusieurs mois, il a vécu, sauf la nuit, avec 20 enfants, 16 filles et 4 garçons, dans un hôpital psychiatrique d’une ville de province en Belgique. Il a partagé leurs routines, écouté leurs histoires et vécu à leurs côtés. Cette expérience lui a permis de sculpter des personnages authentiques, reflétant les luttes et les rêves de ces jeunes.

Dans ces hôpitaux qui accueillent ces adolescents en souffrance, la vulnérabilité et la force coexistent. Petit à petit, Jérôme Colin est parvenu à gagner la confiance de ces jeunes patients, qui l’ont à la fois fasciné et pour qui il a ressenti beaucoup d’amour. Il a échangé avec eux, une fois qu’il a eu passé la mise à l’épreuve, pour voir s’il était digne de confiance. Et ils avaient et ont toujours beaucoup à dire. 

Après avoir échangé avec eux, Jérôme Colin a mieux compris pourquoi ils ne sont pas venus lui parler spontanément au début. Certains ont parfois des histoires particulières avec les adultes, des histoires dures, cruelles, inimaginables. Il estime que ces ados ont raison de se méfier des adultes, parce qu’on leur donne un monde qui n’est pas simple. 

Jérôme Colin a choisi ce terme de dragons pour désigner ces adolescents. Comme la société leur colle des étiquettes en les qualifiant d’anormaux, de dépressifs, de malades, de fous, il a souhaité leur en donner une dont ils pourraient être fiers. Le dragon symbolise à la fois la puissance, la complexité et la beauté cachée de ces jeunes. Ces adolescents luttent contre leurs propres démons internes et contre les stéréotypes et les jugements de la société. L’auteur explique avoir voulu renverser la notion de faiblesse souvent associée à la maladie mentale, en suggérant plutôt une forme de force et de résilience extraordinaires.

La normalisation et l'exclusion : le drame du mal-être des jeunes

Cette expérience en hôpital psychiatrique fut profondément marquante pour l’auteur qui souhaite d’ailleurs poursuivre ces échanges avec ces jeunes, sans doute à travers une écriture collective.

Jérôme Colin a notamment retenu deux éléments clés de ces rencontres.

Le fardeau de la normalisation sociale…

Il nous parle d’une jeune fille, Nell, dont il faut très proche pendant ces mois et qui a largement inspiré le personnage de Colette. Elle souffrait d’une dépression terrible. Ils ont longuement parlé et un jour, elle lui a dit : « mais Jérôme, entre toi et moi, qui est malade ? ». 

Cette question, Jérôme Colin est parti pour se la poser tout le restant de sa vie. Nell ne voyait pas du tout le sens de la vie. Elle ne voyait pas comment y prendre part. Elle ne se trouvait pas aimable alors qu’elle l’était. Elle lui avait fait remarquer que lui était sans doute capable de passer devant un SDF dans la rue, sans même fouille dans sa poche pour lui donner un euro. 

Nell a alors dit à Jérôme: « est-ce que c’est toi qui es malade, qui es capable de faire ce genre de choses ? Ou est-ce que c’est moi qui suis incapable de vivre avec ça ? Moi, quand je croise cette personne dans la rue et que je sais qu’elle va dormir dehors, je suis tétanisée, et je n’en dors pas. Et le lendemain, je ne veux pas vivre. Moi, je ne veux pas vivre. Qui est malade des deux ? Toi qui es capable de passer à côté ou moi qui suis incapable de tolérer ça ? ».

Pour l’auteur, cette question mérite d’être posée. Elle est à la base de toute forme d’exclusion. Elle parle aussi de normalité, de cette espèce d’autorité supérieure qui nous oblige à être normaux. 

… qui conduit à l’exclusion

Ne pas être dans la norme, c’est souffrir d’exclusion, qu’elle soit scolaire, professionnelle, familiale, liée au racisme ou à l’homophobie, etc. Cette pression de la norme peut conduire à l'exclusion de ceux qui sont perçus comme différents, que ce soit en raison de leur comportement, de leur apparence, de leurs intérêts ou de leur santé mentale.

Ces jeunes qui ne correspondent pas aux normes établies souffrent de cette exclusion, de cet isolement social, de ces intimidations, voire de l’exclusion scolaire. 

D’ailleurs, Jérôme Colin milite en Belgique contre le renvoi scolaire, contre l’exclusion scolaire, parce qu’il estime que ce n’est jamais bon. Il comprend très bien la difficulté pour un prof d’avoir dans sa classe un élève qui empêche de faire cours. Mais c’est à l’institution scolaire de mettre en place des choses pour que ces enfants qui ne peuvent pas être en classe restant à l’école et ne soient pas renvoyés chez eux. 

Être renvoyé chez soi, c’est le premier pas vers le grand mal-être, explique-t-il. Il y a donc une responsabilité de l’école. Dans son premier livre, Le champ de bataille et dans Les dragons, il dit entre les lignes que la race a muté, mais que l’école est restée dans les cavernes. Pour lui, on donne l’école de manière industrielle aujourd’hui, sauf qu’on n’est plus à l’ère industrielle. 

Les défis du système éducatif pour lutter contre le mal-être des ados

Dans son analyse de l’école, Jérôme Colin explique qu’avant, on donnait l’école à tout le monde de la même façon et on demandait à tous les enfants d’avancer à la même allure, parce qu’on allait tous faire le même métier. On allait à l’usine à côté de la maison, à côté de l’école, de l’église. On devenait avocat, médecin, journaliste, prof. Mais aujourd’hui, la donne a changé. L’école lui semble d’un autre siècle. Il connaît peu l’école du XXIe siècle. Il voit les apprentissages que doivent faire ses enfants, mais aussi ceux qu’ils ne doivent pas faire et qui lui paraissent pourtant si importants.

Apprendre à décortiquer les images

Il cite l’exemple de l’image. Nous vivons dans une société de l’image. Les enfants regardent des images toute la journée. Mais on leur demande d’écrire sans faute. Or, dans notre société actuelle, il ne suffit pas d’écrire sans faute, il faut aussi savoir décortiquer une image sans faute. Mais on ne leur apprend pas à le faire. On ne leur apprend pas à chercher qui a posté cette image, pourquoi maintenant, dans quel but, pourquoi elle arrive jusqu’à moi, quelle est cette image ? Les enfants ne savent pas le faire alors que dans notre société actuelle, l’image est leur langage premier. Et s’ils n’apprennent pas à le faire, ils seront extrêmement manipulables. 

Stopper l’école de la compétition, celle qui exclut

Un autre point noir de l’école à ses yeux, c’est le modèle de société que montre l’école à travers la compétition qui s’y joue.  Ce que l’on apprend à l’école, on va le reproduire. On l’aura intégré et ça va devenir normal. On deviendra patron de PME et on fera la même chose. On fera ce que l’on a appris, on va exclure en dessinant les premiers et les derniers. Pour Jérôme Colin, ce n’est pas avoir un monde à son plein potentiel quand on fait ça.

Le pouvoir de l'échange et du collectif

Pour Jérôme Colin, on ne vit qu’avec les autres. Le danger du repli sur soi, comme l’ont vécu les enfants qu’il a rencontrés, c’est qu’on se retrouve seul. Dans ce cas, il n’y a plus qu’une personne à qui s’en prendre, c’est soi. Il estime que se développer personnellement n’a pas de sens. On ne se développe que collectivement. « Il n’y a de soin que dans les autres… Il n’y a de beauté dans le monde que dans le partage ».

« La seule raison d’être au monde et de vouloir vivre demain, ce sont les autres », dit-il encore. Et les enfants à l’hôpital lui ont confirmé. Toutes les 8 semaines, les patients devaient sortir une semaine, puis revenir à leur demande, si jamais ils en avaient besoin. À chaque fois qu’un jeune partait, Jérôme Colin lui demandait ce qui l’avait le plus marqué pendant son séjour. La même réponse revenait : le groupe, les amis, les autres, les pairs. Finalement, de ce séjour, ils avaient appris que l’autre n’est pas tout le temps persécutant, que l’autre, ça peut être merveilleux. 

À travers son roman, Jérôme Colin a souhaité faire passer ce message du collectif. Il dit à ces jeunes qu’ils ne sont pas seuls. Ils sont même incroyablement nombreux à partir du moment où chacun commence à s’intéresser à l’autre. Les dragons, c’est une communauté. Le monde est d’ailleurs peuplé de dragons : les enfants ne sont pas seuls, et les parents non plus. Parce qu’être parent d’un enfant qui va mal peut aussi mener à l’isolement. On peut ne plus savoir que faire et penser qu’on est seul à vivre une telle chose et à pouvoir comprendre. Or, on n’est jamais seul pour peu qu’on ose en parler et s’en ouvrir aux autres. 



Alors que faire pour aider nos jeunes à aller mieux ? Jérôme Colin a bâti une théorie suite à ses nombreux échanges avec des psychiatres pour écrire ce livre. Pour lui, le système dans lequel nous vivons, le capitalisme, n’a rien à offrir, sinon des purs plaisirs de junkies qui consomment, sont contents, consomment à nouveau pour maintenir cette satisfaction.  Mais il n’y a pas d’idéal. Et ces jeunes lui ont clairement dit qu’ils ne voyaient pas pourquoi ils devaient devenir adultes, ils n’en voyaient pas le sens, le rôle qu’ils allaient pouvoir jouer. 

Notre système actuel manque peut-être d’un idéal commun. Tout semble morcelé. Il serait peut-être bon que les adultes réfléchissent pour les générations futures à proposer un idéal aux enfants et pas seulement un système dans lequel on essaie de gagner sa vie pour être à sec le 15 du mois. Et si les écoles cherchaient avec les enfants à inventer des systèmes dans lesquels on pourrait être heureux ?  Et si on donnait la parole aux enfants, si on leur apprenait l’éloquence, si on leur donnait du vocabulaire pour évoquer la nuance de ce monde ?


Référence : 

Les dragons, Jérôme Colin, Allary éditions, 2023

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