Comment mieux écouter les enfants ? avec Anne-Marion de Cayeux #253
Comment mieux écouter les enfants ? La question paraît simple, mais elle révèle en réalité un enjeu profond : celui de reconnaître pleinement la place des enfants dans notre société, de leur vie familiale à leur parcours scolaire, jusqu’aux décisions juridiques qui les concernent directement.
Dans cet épisode, Stéphanie d’Esclaibes échange avec Anne-Marion de Cayeux, avocate spécialisée en droit de la famille et fondatrice de l’Association internationale des auditeurs d’enfants, pour comprendre pourquoi le droit d’être entendu est encore si peu appliqué et comment transformer notre manière d’écouter les plus jeunes. À travers son expérience et des exemples très concrets, elle nous rappelle qu’écouter un enfant, ce n’est ni lui demander de décider ni lui donner raison, mais créer les conditions pour qu’il puisse exprimer ce qu’il vit, ce dont il a besoin et ce qu’il ressent. Une révolution douce, mais essentielle, pour mieux accompagner les adultes de demain.
Pourquoi mieux écouter les enfants ?
Se demander comment mieux écouter les enfants implique d’abord de reconnaître qu’il ne s’agit pas d’une simple question éducative, mais bien d’un droit fondamental. La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) affirme en effet que tout mineur a le droit d’exprimer librement son opinion sur les sujets qui le concernent et que cette parole doit être « prise en considération ».
Pourtant comme l'a rappelé le Défenseur des enfants dans son rapport 2020, consacré à la prise en compte de la parole de l’enfant, et comme le confirme Anne-Marion de Cayeux, ce droit reste largement théorique, notamment en France.
« Ce droit est malheureusement très peu appliqué », explique-t-elle.
Mais rappelons-nous que la CIDE n'a vu le jour qu'en novembre 1989.
« On est à l’enfance des droits de l’enfant », souligne Anne-Marion.
Autrement dit : les principes existent, mais leur mise en œuvre demeure fragile. L’écoute réelle des enfants nécessite des compétences, des espaces et des pratiques qui ne sont pas encore suffisamment intégrés dans les institutions, ni même dans les habitudes éducatives.
Cette situation révèle un enjeu sociétal bien plus vaste. Longtemps, l’enfant a été perçu comme un être en devenir, dont la parole importait peu. Anne-Marion de Cayeux précise :
« on voit surtout ce qu’ils doivent devenir, plus que ce qu’ils sont aujourd’hui ».
Or écouter un enfant, ce n’est pas le projeter vers l’adulte qu’il deviendra : c’est reconnaître la valeur de sa pensée, de ses perceptions et de ses besoins présents.
Ainsi, mieux écouter les enfants revient à renforcer leur dignité, leur participation et leur place dans la société. C’est aussi transformer collectivement notre rapport à l’enfance : passer d’une vision centrée sur l’autorité ou la rentabilité du temps à une culture de l’attention, de la disponibilité et du respect. Une évolution lente, mais essentielle, qui demande autant une prise de conscience individuelle qu’un cadre institutionnel adapté.
Quand la parole des enfants devrait-elle compter davantage ?
L’une des questions centrales, lorsqu’on se demande comment mieux écouter les enfants, est d’identifier les situations où leur parole est indispensable, mais encore trop rarement sollicitée. Au fil de son expérience, Anne-Marion de Cayeux distingue trois grands domaines où l’écoute des enfants pourrait transformer en profondeur leur quotidien et les décisions qui les concernent directement.
La parole des enfants au sein de la famille
La famille est le premier espace où l’enfant devrait pouvoir exprimer ses préférences, ses besoins ou ses inquiétudes. Cela concerne autant ses activités, son rythme de vie que ses relations avec ses proches.
Comme le rappelle Anne-Marion de Cayeux,
« ce qui est important, c'est de l'entendre sur plein de petits détails : est-ce qu'il va prendre le bus ? Est-ce qu'il va pouvoir continuer de jouer au foot ? Est-ce qu'il va pouvoir voir ses copains tous les week-ends ? Être gardé par sa grand-mère ?, etc. »
Ces éléments, qui peuvent sembler secondaires aux adultes, façonnent pourtant la stabilité émotionnelle et sociale de l’enfant. Ils prennent une importance particulière lors d’une séparation parentale. Trop souvent, l’enfant n’est interrogé que sur des choix lourds — résidence alternée, lieu de vie — alors que son quotidien renferme les véritables enjeux de son bien-être.
Mieux écouter les enfants dans ce cadre, c’est donc leur permettre d’exister autrement qu’à travers les décisions des adultes et mieux comprendre comment ces décisions les impactent.
La parole des enfants dans le cadre scolaire
L’école est un autre lieu où la parole des enfants reste trop peu prise en compte. Les règles y sont souvent strictes, les systèmes d’évaluation opaques, et les décisions rarement expliquées. Or, comme l’explique Anne-Marion de Cayeux, les élèves expriment un vrai besoin de compréhension et d’équité.
Elle rapporte ainsi les propos d’adolescents de 15-16 ans qui aimeraient que « les premières notes ne comptent pas dans la moyenne, surtout pour Parcoursup », en raison d’un « défaut d'information » sur la façon dont chaque professeur évalue et d’un manque de débriefing personnalisé.
Elle souligne également le manque d’écoute dans la gestion des sanctions :
« On n’a pas le droit normalement de mettre une sanction sans qu'il y ait une possibilité d'un échange (on parle d'échange contradictoire en droit) ».
Pourtant, de nombreux enfants reçoivent une colle ou voient leur téléphone confisqué sans avoir pu expliquer la situation — parfois même lorsqu’ils tentaient d’aider un camarade, comme l’exemple de cette élève punie pour avoir parlé à une amie en difficulté et être arrivée en retard en cours.
« Peut-être que la moindre des choses, ce serait de leur donner un petit droit de la défense ».
Dans les procédures disciplinaires plus lourdes, la parole des élèves est souvent médiée par les délégués et perçue comme suspecte, ce qu’Anne-Marion décrit comme « très ennuyeux et très injuste. »
Mieux écouter les enfants à l’école, c’est leur offrir un espace contradictoire, un droit d’explication, et une véritable participation aux décisions qui les concernent.
La parole des enfants au niveau administratif et juridique
Certaines décisions ont un impact extrêmement direct sur la vie des enfants : changement de nom, adoption, organisation du quotidien, grandes orientations. Pourtant, leur parole est rarement sollicitée ou considérée.
Anne-Marion de Cayeux raconte par exemple le cas d’une mère souhaitant changer le nom de son enfant sans même l’en informer : « Il en est hors de question ! Ça va l'embêter, et puis ce n’est pas son problème », lui avait répondu la mère. Ce à quoi Anne-Marion rappelle simplement : « Mais c'est quand même elle qui le porte. »
Dans le cadre des séparations parentales, l’enfant devrait également pouvoir s’exprimer dans un environnement sécurisant, hors du tribunal. C’est tout le rôle des auditeurs d’enfants : recueillir sa parole « dans un cadre beaucoup plus doux, beaucoup plus long, beaucoup plus lent, beaucoup plus respectueux ».
Pour rappel, un auditeur d'enfant est professionnel qualifié pour écouter le mineur de manière indépendante, impartiale et compétente. Il recueille sa parole et la transmet dans les meilleures conditions à ceux qui doivent prendre des décisions le concernant. Il existe aujourd'hui un Diplôme Universitaire (DU) d'auditeur d'enfants, cofondé par Anne-Marion de Cayeux et Blandine Mallevaey.
Mieux écouter les enfants dans ces situations, c’est leur permettre d’être pleinement acteurs de leur vie, sans les faire décider, mais en reconnaissant leurs besoins, leurs émotions et leurs préoccupations.
4 freins à l'écoute des enfants par les adultes
Comprendre comment mieux écouter les enfants suppose également de reconnaître pourquoi, encore aujourd’hui, tant d’adultes ne les écoutent pas vraiment. On entend encore majoritairement : « mes enfants ne m'écoutent pas » plutôt que « comment bien écouter mes enfants ».
Pour Anne-Marion de Cayeux, ce constat n’est dû ni à un manque de bonne volonté ni à un problème individuel : ce sont des mécanismes culturels, émotionnels et organisationnels profondément installés dans nos sociétés.
1 - Une habitude culturelle profondément ancrée
Le premier frein est presque invisible : beaucoup d’adultes ont la conviction d’écouter les enfants… alors même qu’ils ne le font pas.
« Les adultes, globalement, ne se rendent pas compte qu'ils n'écoutent pas les enfants. Parce que c'est un comportement qui est tellement ancré qu'ils sont convaincus qu'ils les écoutent », explique Anne-Marion de Cayeux.
Pendant des siècles, l’enfant a été considéré comme un être sans voix, sans droits ou relégué à la marge de la vie sociale. Cette histoire influence encore nos attitudes : interrompre un enfant, minimiser ses propos, décider à sa place, ou supposer qu’il n’a « rien d’important à dire » restent des réflexes largement répandus.
2 - La peur de perdre du contrôle ou de l’autorité
Pour beaucoup d’adultes, écouter vraiment un enfant implique de renoncer à une forme d’autorité traditionnelle. Anne-Marion de Cayeux le formule clairement :
« En effet, il y a une perte de pouvoir. Si on se met à écouter les enfants, ça déstabilise les adultes qui se construisent dans un besoin de sécurité. Il y a une petite rigidité parce que ça permet aussi d'être stable, d'être confortable, de dépenser moins d'énergie ».
Ce sentiment de perte de contrôle peut être perçu comme une remise en question du rôle parental, de l’autorité éducative ou du cadre scolaire. Pourtant, écouter un enfant ne signifie pas lui laisser décider (de toute façon, « les enfants ne veulent pas décider », rappelle Anne-Marion) : cela signifie simplement comprendre ce qu’il vit, ce qui n’a rien d’une menace.
3 - Le manque de temps et la culture de la rentabilité
Un autre obstacle majeur est l’organisation de notre société.
« On n’a pas le temps. Ce n’est pas rentable », résume Anne-Marion de Cayeux.
Dans une culture où chaque minute compte, où les emplois du temps sont saturés et où l’efficacité prime, prendre le temps d’écouter un enfant demande un effort qui n’entre pas dans les logiques de productivité.
Or écouter un enfant implique souvent de ralentir, d’accepter une parole hésitante, non linéaire, parfois émotionnelle. Cela nécessite un espace qui, dans notre quotidien rythmé, est rarement disponible — surtout dans les milieux scolaires, médicaux ou administratifs.
4 - Voir l’enfant comme un futur adulte travailleur plutôt qu’un citoyen présent
Enfin, un frein plus subtil repose sur notre manière de percevoir l’enfance. Beaucoup d’adultes projettent l’enfant vers ce qu’il deviendra, au lieu de le considérer pour ce qu’il est. Anne-Marion de Cayeux le formule ainsi :
« On voit surtout ce qu'ils doivent devenir, plus que ce qu'ils sont aujourd'hui. »
Cette vision réduit la valeur de la parole enfantine à une étape intermédiaire, une préparation à la vie d’adulte. Elle occulte la profondeur, la sensibilité, l’intelligence et le sens de la justice que les enfants possèdent déjà. Or, comme elle le rappelle ailleurs dans l’épisode :
« l’enfant a une intelligence assez pure »
et des besoins fondamentaux qui méritent d’être entendus, indépendamment de son âge.
Mieux écouter les enfants, c’est reconnaître leur présence, leur singularité et leur participation à la société, ici et maintenant — pas uniquement dans la projection de ce qu’ils deviendront.
Comment mieux écouter les enfants : 3 conseils pour une écoute juste et respectueuse
Pour Anne-Marion de Cayeux, apprendre comment mieux écouter les enfants n’est ni intuitif ni spontané : c’est une compétence qui repose sur un cadre, un climat et des méthodes précises. Ces trois piliers permettent à l’enfant de s’exprimer librement, sans pression ni influence, et de sentir que sa parole a de la valeur.
1. Poser un cadre clair, neutre et sécurisant
La première condition d’une écoute de qualité est un cadre stable, explicite et protecteur. Ce cadre concerne à la fois le lieu physique, qui doit être adapté et apaisant, et le rôle de la personne qui écoute.
Anne-Marion insiste sur la nécessité d’une posture très particulière, fondée sur la neutralité :
« Ni conseil, ni avis, ni interprétation ».
L’objectif est de laisser l’enfant parler sans que l’adulte projette ses propres filtres ou attentes. Cela implique un véritable travail intérieur de la part de l'auditeur :
« On va avoir la possibilité de faire un peu de vide en soi, pour avoir une parole pure. C'est un apprentissage, c'est une conduite de changement ».
Ce cadre doit aussi être expliqué à l’enfant avec simplicité. Anne-Marion ouvre ses auditions par une phrase devenue emblématique :
« Ici, c’est toi le chef. »
Cette formule symbolique renverse les rapports habituels : elle montre à l’enfant qu’il dispose d’un espace où sa parole est centrale, respectée et dépourvue d’enjeu de pouvoir.
2. Créer un climat de confiance : gentillesse, disponibilité, posture
Le deuxième pilier est la qualité relationnelle. Pour qu’un enfant s’exprime, il doit se sentir accueilli, en sécurité et considéré avec bienveillance.
« Être gentil, en fait », résume Anne-Marion avec simplicité.
La gentillesse véritable passe par de petits gestes : la patience, la disponibilité, le sourire, mais aussi un non-verbal ouvert. L’adulte doit éviter de rigidifier l’espace, par exemple en se plaçant derrière un bureau.
« On ne va pas mettre un enfant de l’autre côté d’une table : on va le mettre à côté de soi, voire on va s’asseoir par terre. »
La proximité, lorsqu’elle est choisie et respectueuse, réduit la distance émotionnelle et libère la parole. Partager un goûter, un petit bonbon ou un morceau de brownie peut sembler anodin ; pourtant, ces gestes créent un espace informel où l’enfant se sent autorisé à être lui-même. « Tant pis pour la ligne », ajoute Anne-Marion avec humour, rappelant que l’essentiel est ailleurs : la relation, pas la performance.
3. Utiliser des méthodes adaptées : questions ouvertes, protocole NICHD
Écouter un enfant ne s’improvise pas : les recherches ont montré que certaines techniques favorisent une parole plus fiable et moins influencée. Anne-Marion s’appuie notamment sur le protocole NICHD, utilisé dans les services de police et de gendarmerie pour recueillir la parole des enfants victimes.
L’adulte doit privilégier les questions ouvertes, qui mobilisent la mémoire narrative. À l’inverse, les questions fermées — celles qui appellent un oui/non — risquent d’induire la réponse ou de pousser l’enfant à dire ce qu’il pense que l’adulte attend.
« On ne peut pas demander trop directement à un enfant une réponse par oui/non à une question sensible », rappelle-t-elle.
L’entretien se construit généralement en entonnoir : on part du plus large, pour permettre à l’enfant de se sentir valorisé et reconnu dans sa singularité (« C’est qui ton meilleur copain ? Qu’est-ce que tu aimes faire ? »). Ce moment n’est pas anecdotique : c’est déjà un soutien, un geste de considération.
Vient ensuite le temps des questions plus précises, toujours ouvertes, posées « tranquillement » et dans le respect du rythme de l’enfant. Le récit libre est privilégié, car il réduit les risques d’erreur ou de déformation involontaire.
Mieux écouter les enfants, c’est donc conjuguer méthode et humanité : un cadre clair, un climat chaleureux, et des techniques d’entretien qui laissent émerger une parole authentique.
Pourquoi écouter les enfants implique un changement culturel profond
Apprendre comment mieux écouter les enfants ne relève pas seulement d’un ajustement éducatif ou d’une évolution des pratiques professionnelles. C’est un changement culturel majeur, qui mobilise notre rapport à l’enfance, au temps, à l’autorité et à la productivité. Pour Anne-Marion de Cayeux, cette transformation est à la fois nécessaire, récente et encore fragile.
Un héritage historique de non-écoute
Pendant des siècles, la parole de l’enfant n’a pas été reconnue comme ayant une valeur propre. Les témoignages historiques en attestent : les enfants travaillaient, étaient assimilés à des adultes miniatures ou considérés comme incapables de pensée autonome.
Même les grandes avancées pédagogiques furent d’abord reçues avec méfiance. Lorsque Françoise Dolto proposa simplement de parler aux bébés, « on l’a prise pour une folle », rappelle-t-elle. Cet héritage pèse encore sur notre manière d’envisager la place de l’enfant dans la société.
Au fil de l’épisode, Anne-Marion de Cayeux rappelle aussi l’importance des pionniers qui ont tenté, bien avant nous, de faire entendre la voix des enfants. Parmi eux, Janusz Korczak, pédiatre et pédagogue polonais, dont le livre Comment aimer un enfant « en dit long sur le rapport qu'on avait à l'enfant à l'époque ».
« On avait besoin d'un mode d'emploi pour apprendre à aimer un enfant. Il a écrit sur le respect dû à l'enfant. C'était assez révolutionnaire ».
L'orphelinat qu'il avait créé était en partie autogéré par les enfants : instauration d'un tribunal des enfants où les enfants jugeaient leurs paies, établissement d'un code civil des enfants avec une échelle des peines parmi lesquelles figurait le pardon. Anne-Marion de Cayeux est admirative de l'œuvre de ce docteur, « déporté à Treblinka avec les enfants, parce qu'il n'a pas voulu les abandonner ».
« C'est beau, poétique, avant-gardiste, sensible ».
Elle rappelle également le rôle essentiel d’Eglantyne Jebb, « la précurseure des droits de l’enfant », à l’origine de la première déclaration internationale en leur faveur. Ces figures montrent que l’écoute des enfants ne date pas d’hier, mais reste un combat encore trop inachevé.
L’enfant formaté pour être un futur travailleur
L’école et les structures éducatives portent la marque d’un système conçu pour la productivité. Anne-Marion l’exprime très clairement :
« On éduque vraiment les enfants à être des futurs travailleurs. »
Les questions que l’on pose aux adolescents — Qu’est-ce que tu vas faire plus tard ? Quel sera ton métier ? — traduisent cette vision utilitariste de l’enfance.
Dans ce schéma, écouter un enfant n’a pas de fonction immédiate ou rentable. Cela demande du temps, de la disponibilité, et surtout de la considération pour ce qu’il vit aujourd’hui, indépendamment de ce qu’il deviendra demain.
L’importance de créer des espaces « non rentables »
Écouter un enfant nécessite de s’affranchir des logiques d’efficacité qui structurent notre quotidien. Selon Anne-Marion, il faut
« repasser du temps à rien faire. À faire des choses qui ne sont pas rentables, qui ne rapportent rien. »
Cette disponibilité n’est pas un luxe, mais une condition d’accès à la parole authentique. Un enfant ne se livre pas à la demande ; il a besoin d’un contexte qui accueille son rythme, ses émotions, sa temporalité propre. Cela suppose de revoir notre rapport au temps, souvent saturé de contraintes.
Vers une société plus douce, plus lente, plus humaine
Ce changement culturel dépasse largement le cadre familial ou scolaire : il touche notre manière de vivre ensemble. Écouter les enfants, c’est accepter
« de se rouvrir à l'instabilité, au mouvement, à la fluidité, à la créativité de l'enfant… ça demande beaucoup d'efforts ».
Mais c’est aussi un mouvement déjà en marche :
« Il y a une meilleure écoute, une sensibilité, une envie de mieux faire. »
Cette évolution conduit vers une société plus attentive, plus respectueuse, plus délicate à l’égard des plus jeunes — et donc, par extension, à l’égard de tous.
Écouter les enfants, c’est finalement transformer notre rapport au monde : passer d’une logique de maîtrise à une logique de relation.
3 pistes pour mieux écouter les enfants au quotidien
Mieux écouter les enfants ne relève pas uniquement d’une évolution culturelle : cela passe aussi par des gestes, des routines, des compétences et des espaces concrets. Pour Anne-Marion de Cayeux, cette transformation doit concerner tous les adultes qui accompagnent les enfants, qu’il s’agisse des parents, des enseignants, des professionnels du social, de la justice ou de l’éducation.
1 - Former les adultes : comprendre le développement et les besoins de l’enfant
Apprendre à écouter un enfant suppose d’abord de mieux comprendre comment il pense, perçoit le monde et exprime ses émotions. C’est pourquoi le diplôme universitaire créé par Anne-Marion s'adresse à des professionnels d’horizons très variés : « des avocats, des gendarmes, des psychologues », mais aussi « des puéricultrices, des éducateurs, des personnes du domaine scolaire » ou encore des adultes en reconversion.
Cette diversité reflète un besoin collectif : l’écoute de l’enfant ne doit pas être cantonnée à un champ professionnel, mais devenir une compétence transversale. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies insiste d’ailleurs sur la nécessité d’une « formation pluridisciplinaire », car les approches strictement juridiques ou psychologiques ne suffisent pas.
Comprendre le développement de l’enfant, ses vulnérabilités, ses compétences, sa notion du temps ou son rapport aux adultes permet d’adapter la posture, le langage et le rythme de l’écoute. C’est un préalable indispensable pour créer un dialogue juste et non anxiogène.
Anne-Marion de Cayeux cite notamment l’ouvrage Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent, devenu une référence mondiale.
Pour approfondir ce sujet, vous pouvez écouter nos épisodes consacrés à Faber & Mazlish :
– L'approche Faber et Mazlish avec Guila Clara Kessous
– Comment accueillir les émotions de l'enfant avec Roseline Roy
2 - Instaurer des cadres et des moments d’expression
Pour que la parole de l’enfant existe réellement, il faut créer des espaces dédiés, réguliers, institutionnalisés ou simplement ritualisés. Anne-Marion le rappelle : écouter les enfants, c’est aussi « instaurer des procédures, des cadres, des moments ».
Dans les familles, des dispositifs simples peuvent favoriser la circulation de la parole, comme un bâton de parole, des temps de discussion rituels ou la possibilité pour chacun d’exprimer son ressenti sans interruption.
Dans les écoles, repenser les règlements intérieurs et offrir des espaces où les élèves peuvent faire entendre leurs besoins — notamment lors des sanctions, des évaluations ou des orientations — participerait pleinement à cette dynamique.
Au niveau municipal ou institutionnel, les conseils d’enfants constituent un autre exemple d’un espace où leur parole influe sur des décisions concrètes. Ils permettent d’apprendre la participation citoyenne dès le plus jeune âge et de renforcer la confiance que l’enfant a en sa propre voix. Il en a notamment été question dans l'épisode sur la ville à hauteur d'enfants avec Tristan Debray.
Créer ces espaces, c’est reconnaître que la parole de l’enfant mérite un lieu, un cadre et une écoute dédiée, plutôt qu’une attention ponctuelle ou improvisée.
3 - Recourir à des dispositifs d’accompagnement
Dans certaines situations, l’écoute se renforce grâce à des professionnels formés ou à des dispositifs spécifiques.
Les auditeurs d’enfants, par exemple, offrent un cadre neutre et sécurisant, en dehors du tribunal ou du contexte conflictuel familial. Leur mission est de recueillir la parole de l’enfant de manière indépendante et respectueuse, en veillant à ce qu’elle puisse être entendue par les adultes qui prendront des décisions. Comme le rappelle Anne-Marion :
« L’auditeur permet à l’enfant de s’exprimer auprès de ses parents » et donne du poids à sa parole.
La médiation constitue également un espace privilégié pour entendre l’enfant dans des contextes de tension. Elle ouvre un dialogue apaisé, permet aux adultes de dépasser certains biais et repose sur un principe fondamental : personne ne parle au nom de l’enfant, à sa place.
Enfin, certains dispositifs innovants intègrent la présence d’animaux, notamment des chiens, dans les auditions d’enfants victimes ou en difficulté. Anne-Marion salue ces initiatives :
« Un chien offre une présence rassurante, c’est une éponge à émotions. »
Cette présence réduit le stress et facilite l’expression, à condition bien sûr que l’enfant ne craigne pas l’animal.
Ces outils, lorsqu’ils sont utilisés avec discernement, renforcent la capacité de l’enfant à se sentir entendu et considéré.
Se demander comment mieux écouter les enfants, c’est reconnaître qu’ils ne sont pas seulement les adultes de demain, mais des personnes à part entière aujourd’hui, dont la parole mérite respect et considération. Écouter un enfant, c’est lui offrir de la dignité, lui permettre d’exister autrement que dans les décisions des adultes, et reconnaître que ce qu’il exprime — ses besoins, ses émotions, ses peurs — a du sens.
Cette écoute authentique peut transformer les relations familiales, scolaires ou institutionnelles : elle apaise, clarifie, et ouvre la voie à des décisions plus justes. Et au fond, ce mouvement repose sur un geste simple mais essentiel. Comme le dit Anne-Marion de Cayeux :
« Je souhaite qu’on soit gentils avec eux. »
Parce que mieux écouter les enfants, c’est déjà construire une société plus douce, plus humaine et plus attentive à ceux qui la feront grandir.
Parmi les intervenants de ce DU d’auditeurs d’enfants, retrouvez Gabrielle Douieb qui est intervenue dans un épisode sur la théorie de l’attachement, le rôle et l’impact des parents.
FAQ – Comment mieux écouter les enfants ?
1. Comment s'assurer qu'un enfant n'est ni influencé ni manipulé ?
L’une des inquiétudes les plus fréquentes quand on écoute un enfant, concerne le risque que l’enfant soit influencé par un parent ou cherche à faire plaisir aux adultes. Anne-Marion de Cayeux répond sans détour :
« L’enfant est manipulé. C’est comme ça. On ne peut rien faire pour qu’il ne soit pas influencé — au même titre que nous sommes influencés. »
Elle rappelle que l’influence fait partie du développement humain et social. Les enfants, comme les adultes, agissent en fonction de leur environnement, des modèles qui les entourent et de leurs liens affectifs.
Ils déploient aussi des stratégies d’adaptation : certains protègent le parent qu’ils perçoivent comme vulnérable, d’autres évitent de dire ce qui pourrait blesser. Cela ne signifie pas que leur parole est invalide : elle reflète leur vécu et leur besoin de sécurité.
La seule limite à prendre en compte est celle de la violence. Anne-Marion insiste : il est parfois nécessaire « de s’autoriser à dire qu’un enfant, même s’il aime son parent violent… eh bien non : c’est mieux s’il ne le voit pas. » L’influence affective ne doit jamais masquer un danger.
Pour éviter la manipulation, il ne s’agit pas de chercher la vérité absolue, mais de recentrer l’écoute sur les besoins et les ressentis, plutôt que sur des choix binaires ou des décisions : on ne demande pas ce que l’enfant veut, mais de quoi il a besoin pour être en sécurité et en équilibre.
2. Tous les enfants peuvent-ils vraiment être écoutés, même les plus jeunes ?
Oui. Selon Anne-Marion de Cayeux, il n’existe pas d’âge minimum pour écouter un enfant. La CIDE parle d’un enfant « capable of his own views », ce qui signifie qu’il peut avoir son propre point de vue, indépendamment d’un niveau de maturité formel.
Contrairement aux idées reçues, l’enfant ne souhaite pas décider : « Les enfants ne veulent pas décider. Ce qui prouve que ce n’est pas tellement un problème. » Ce qu’ils veulent, c’est être entendus et soulagés du poids des décisions qui concernent leur vie.
L’exemple allemand est éclairant : « En Allemagne, ils entendent des tout-petits. C’est aux adultes de s’adapter au degré de maturité. » Ainsi, ce n’est pas l’âge qui détermine la possibilité d’écoute, mais la capacité de l’adulte à adapter son langage, son rythme et ses questions.
Écouter un enfant plus jeune consiste à :
utiliser des formulations simples ;
privilégier le jeu ou l’observation ;
accueillir le non-verbal ;
comprendre le ressenti plutôt que les faits complexes.
Chaque enfant peut être écouté, mais pas de la même manière. C’est à l’adulte d’ajuster l’entretien, et non l’inverse.
3. Dans quelles situations un auditeur d’enfants peut-il intervenir ?
L’auditeur d’enfants intervient dans toutes les situations où une décision importante concerne l’enfant et où sa parole mérite d’être recueillie dans de bonnes conditions. Anne-Marion en décrit plusieurs :
• Séparation ou divorce parental
Premier champ d’application : permettre à l’enfant de s’exprimer hors du tribunal, « dans un cadre beaucoup plus doux, beaucoup plus long, beaucoup plus lent, beaucoup plus respectueux ».
Il peut évoquer son quotidien, ses besoins pratiques, ses inquiétudes, sans devoir trancher entre ses parents.
• Adoption ou changement de nom
Même lorsqu’un enfant est trop jeune pour donner un consentement légal, il peut exprimer son rapport à son identité.
• Organisation de la vie quotidienne
Horaires, trajets, activités, relations familiales… autant d’éléments qui peuvent grandement affecter l’enfant et nécessitent son point de vue.
• Orientation scolaire ou choix structurants
L’auditeur aide l’enfant à exprimer ses besoins, ce qui éclaire les décisions éducatives.
• Protection de l’enfance
Dans certains contextes, l’auditeur peut être sollicité pour recueillir la parole d’un enfant vulnérable, là encore dans un espace neutre et bienveillant.
Le rôle de l’auditeur est d’être un porte-parole indépendant, ni juge, ni avocat, ni psychologue. Il permet à l’enfant de participer réellement aux décisions.
4. En quoi l’audition de l’enfant transforme-t-elle la relation entre l’enfant, ses parents et les professionnels ?
Selon Anne-Marion, l’impact est majeur. D’abord, cela conduit à des solutions mieux ajustées aux besoins réels de l’enfant, car l’on cesse de projeter des intentions ou des interprétations d’adultes.
Ensuite, l’audition lève de nombreux malentendus. Elle évoque le cas de pères convaincus que leurs enfants étaient manipulés, et pour qui deux auditions ont permis de comprendre que les raisons avancées — par exemple liées à la résidence alternée — étaient « audibles ».
Enfin, cela favorise la coopération parentale. Dans des situations très conflictuelles, elle a vu des parents « qui ne se parlaient plus » se retrouver côte à côte, prêts à écouter ce que leur enfant vivait réellement. L’audition crée un espace apaisé, où chacun retrouve sa place.
Pour l’enfant, c’est un changement déterminant : « Ça donne à l’enfant le sens d’une dignité dans cette procédure. » Il devient acteur de sa vie, sans porter la responsabilité de la décision.
L’audition n'est donc pas un outil technique : c’est un levier de transformation relationnelle, qui apaise, clarifie et réhumanise les décisions familiales ou institutionnelles.
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