Pourquoi les enfants changent le monde avec Jean Birnbaum #182

Dans son essai, Seuls les enfants changent le monde, Jean Birnbaum décrit en quoi le fait de côtoyer un bébé plonge dans l’émerveillement. Il explique le pouvoir subversif des enfants, leur capacité à remettre en cause l’ordre établi d’un simple regard. Si les philosophes ont fait peu cas du thème de l’enfance, Anna Arendt en a fait leur cœur de sa pensée et a mis en lumière l’espérance et le potentiel de changement que portent les enfants. Jean Birnbaum explique en quoi les enfants transforment notre vision du monde et nous invitent à repenser l’avenir.

Enfance et philosophie : Anna Arendt

Le sujet de l’enfance, longtemps négligé par les penseurs

L'histoire de la philosophie occidentale témoigne d'une étrange omission : celle de l'enfance. Dans l’épisode 150 du podcast, Marie Robert avait, quant à elle, évoqué le fait que la maternité était également une oubliée des philosophes

Pendant des siècles, les penseurs ont plutôt négligé l’enfance. Pour Jean Birnbaum, une réponse assez facile pourrait être que la philosophie occidentale est quand même dominée par des mâles eux-mêmes dominants. C’est par ailleurs une philosophie complètement structurée par des hommes qui, sans doute, ne se sont pas beaucoup occupés de leurs bébés quand ils en ont eu. 

Peut-être considéraient-ils ce stade de la vie humaine au mieux comme une période préparatoire à l'âge adulte, dépourvue de la rationalité et de la complexité dignes d'une exploration philosophique. Jean Birnbaum explique avoir été frappé de voir que même ces philosophes ont fait de l’enfant « un être déficient, qui se définit par tout ce qui lui manque, tout ce qu’il n’est pas. »

L’enfant est un philosophe

Or, pour Jean Birnbaum, l'enfance, par sa pureté et sa nouveauté, offre une perspective unique sur le monde. Elle est capable de remettre en question nos convictions les plus ancrées. La naissance et l'enfance sont les moments où l'humain est le plus dépourvu de préjugés, le plus ouvert à l'expérience pure du monde. C'est une période de découverte sans cesse renouvelée, où chaque sensation, chaque apprentissage, façonne la manière dont nous allons interagir avec notre environnement pour le reste de notre vie. 

Jean Birnbaum trouve le bébé, l'enfant, « absolument philosophique ». Frédéric Lenoir a ce même avis sur les enfants. Il a d’ailleurs créé des ateliers de philo pour enfants à travers son association SEVE, comme cela avait été évoqué lors de l’épisode 160 du podcast.

Socrate définit le philosophe comme étant celui qui vient pousser l’autre dans ses retranchements, « foutre en l’air » ses certitudes et l’obliger à avouer, à dire qu’il sait qu’il ne sait rien. Et en ça, pour Jean Birnbaum, le bébé est le plus renversant des philosophes

Anna Arendt place l’enfance au cœur de sa pensée

Et étrangement, c’est une philosophe politique de renom du XXe siècle, qui n’a pas eu d’enfant, qui a fait de l’enfant, la figure emblématique de sa pensée, de sa philosophie. Pour Anna Arendt, on ne peut pas penser un nouveau monde sans penser le nouveau-né, explique Jean Birnbaum. À travers ses écrits, elle, qui a traversé l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, explique que les bébés sont garants du nouveau monde, de l’avenir.

Grâce à elle, l'enfance est devenue un sujet de réflexion philosophique à part entière. Chaque naissance est un miracle qui apporte au monde un commencement absolument nouveau. Arendt voit dans l'enfance non seulement la promesse d'un renouveau perpétuel de l'humanité, mais aussi le fondement même de la possibilité politique. Selon elle, la natalité, le fait même de naître, est la condition préalable à la liberté et à la possibilité de créer un monde nouveau. Ce n'est qu'en reconnaissant le potentiel inhérent à chaque naissance que nous pouvons véritablement envisager de construire une société meilleure. 

Jean Birnbaum explique que l'approche d'Anna Arendt nous invite à repenser notre relation à l'enfance. Plutôt que de la voir comme une simple étape vers quelque chose de « plus grand » ou de « plus important », elle nous pousse à considérer chaque enfant comme le porteur d'un potentiel révolutionnaire. Dans leurs mains, le monde a la possibilité de se réinventer, de se réimaginer. L'enfance, avec sa capacité à voir le monde avec fraîcheur et sans les filtres de l'expérience préconçue, détient la clé de la compréhension profonde de notre réalité et de notre capacité à la transformer. 

Porteurs d’espérance, les enfants changent le monde

Pour Jean Birnbaum, l'enfance est synonyme d'espérance. Tous les discours sur le désir d’enfant ou le non-désir d’enfant, tous les effets sensibles, intellectuels, politiques sur l’enfant, tout « s’effondre à l’instant où cet être énigmatique vous propulse dans un territoire où toutes les certitudes s’écroulent et où tous les espoirs sont permis ». L’enfant est « le plus beau porteur d'espérance ». « Il n'y a pas d'avenir sans enfant, il n'y a pas de promesse politique qui ne soit pas une promesse faite aux enfants ».

Dans les yeux d'un enfant, le monde se révèle plein de possibilités infinies. Chaque jour est une promesse de découvertes nouvelles, et chaque expérience est une leçon de vie. Cette perspective constitue un puissant rappel de la capacité de l'humanité à se réinventer et à aspirer à un avenir meilleur. Jean Birnbaum, dans son exploration de la relation entre l'enfance et l'espérance, invite à reconnaître et à valoriser ce potentiel transformateur inhérent à chaque enfant.

Ces nouvelles générations jouent un rôle essentiel dans la perpétuation de l'espoir et dans la lutte contre le cynisme et le désespoir qui semblent parfois prévaloir dans notre monde contemporain. Les enfants, avec leur disposition à s'émerveiller des petites choses et à poser des questions fondamentales, nous rappellent les valeurs essentielles souvent oubliées dans le tumulte de la vie adulte : l'amour, la curiosité, la joie et la possibilité d'un futur radieux.

Cette espérance n'est pas une abstraction lointaine ou un idéal inatteignable. Elle se manifeste dans le quotidien, dans les interactions simples, mais profondes avec les enfants. Dans cet épisode de podcast, Jean Birnbaum partage des moments de sa vie personnelle, des instants où la présence et les actions de ses enfants ont réveillé en lui un sentiment d'optimisme et de foi en l'avenir. Que ce soit à travers un rire partagé, une question inattendue ou un moment de complicité, ces expériences incarnent la promesse d'un monde meilleur.

Jean Birnbaum met en lumière cette capacité unique des enfants à ébranler nos convictions. Par exemple, il raconte comment le simple rire de sa fille, cherchant à capter son attention alors qu'il était absorbé par son travail, lui a révélé l'absurdité de ses priorités. Ce moment de connexion, bien que bref, symbolise la manière dont les enfants, par leurs actions et réactions spontanées, peuvent nous faire prendre conscience de nos erreurs et de nos oublis.

Comment les enfants changent le monde ?

Conjurer la mort : la fausse croyance 

Une fausse croyance dit que celles et ceux qui veulent des enfants ont cette volonté de se prolonger, de se perpétuer. Avoir des enfants les rassure, face à leur peur de la mort. 

 Pour Jean Birnbaum, c’est en fait tout l’inverse, parce que lorsque l’enfant paraît, il vous renvoie à votre précarité, à votre fragilité. Vous n’êtes pas renvoyé à la mort, mais à une forme d’incroyable vulnérabilité, explique-t-il. La vulnérabilité, en tant que force et non faiblesse, c’est d’ailleurs un des enseignements transmis par les enfants pour Sophie Marinopoulos.

« C’est tout sauf une espèce de triomphe arrogant où l’on va survivre, se perpétuer et dominer », renchérit-il. « On est quasiment renvoyé dans les poubelles de l’histoire. On donne la naissance à un tout autre qui va nous remettre à notre place. » Ce sentiment, il l’a particulièrement éprouvé lorsque son aîné en âge de marcher, a fait ses premiers pas en allant vers son arrière-grand-mère qui l’appelait, alors que ses parents attendaient ce moment depuis des semaines. Plus que ce sentiment d’invincibilité grâce à sa descendance, il a alors ressenti une dette à l’égard des aînés et de la gratitude à l’égard de celui qu’ils avaient mis au monde.

Encourager la nuance

Avec son livre, Seuls les enfants changent le monde, Jean Birnbaum essaie de montrer que tous ceux qui prennent un discours sur l’enfance avec légèreté, ont tord de le faire. Il refuse de voir le monde en noir et blanc, quitte à se mettre à dos « les fanatiques de toutes les couleurs ».

 Dans son livre, il affirme que « tout ce qui vous renverse, tout ce qui vous remet en question, dans ce face-à-face, ce contact vertigineux avec un être qui, d’emblée, vous propulse dans un territoire sans certitude, sans repère, met sur un chemin de courage, celui de la nuance ». Son précédent livre avait d’ailleurs ce titre, Le courage de la nuance.

 Les enfants invitent à la nuance. Il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants, les bons et les mauvais. La réalité est plus complexe, et l’enfant aide à cette prise de conscience.

Créer la surprise 

Les enfants ont également cette capacité, dès leur naissance, d’exposer les adultes qui les entourent à « l’événement permanent, à l’imprévisible continu ».

Avoir un enfant, c’est tout sauf du conformisme. Et selon Jean Birnbaum, ne pas avoir d’enfant ou ne pas souhaiter se confronter à lui, qu’il s’agisse du sien ou de celui des autres, c’est en fait se protéger de la surprise. Parce qu’un enfant, dès qu’il naît, il dit finalement non, il balaie nos croyances, il n’est pas celui que nous pensions.

« L'enfance vous fait vaciller, dynamise vos certitudes. »

 D’ailleurs, Jean Birnbaum, lorsqu’il menait des interviews auprès de personnalités, aimait, alors que son interlocuteur ne s’y attendait pas, l’interroger sur l’enfance. Il avait constaté que ce thème avait la capacité à déverrouiller les choses et à créer la surprise, 

Changer le monde

L’enfance est un sujet qui a questionné Jean Birnbaum très tôt. Il se rappelle avoir milité, très à gauche et avoir tenu un discours qui associait le fait d’avoir un enfant avec un concept bourgeois et conformiste. Devenir parent, c’était « devenir l’esclave du système patriarcal, capitaliste, d’oppression, etc.  »

Mais, dans le cadre de son engagement politique, il a senti qu'il y avait quelque chose de problématique à vouloir tendre la main aux générations à venir, à vouloir créer un meilleur monde, à vouloir émanciper les générations futures, en interdisant de donner la vie. 

Cette incohérence transparaissait dans le fait que Rosa Luxembourg, autrice de référence pour ce groupe politique, grande révolutionnaire, n’envisageait pas elle-même, qu’on puisse vouloir changer le monde sans essayer de donner la vie. Donner la vie aux enfants qui allaient changer le monde par leur simple existence, comme le dit Anna Arendt.  Pour ces deux femmes qui n’ont pourtant pas eu d’enfants, ces derniers restaient porteurs d’espérance, ceux qui pouvaient changer le monde.

« Il n'y a donc pas besoin d'avoir un enfant soi-même pour se laisser percuter, bouleverser, renverser par un bébé ».

Aujourd’hui, toute une génération se dit « oh là là, mais est-ce que vraiment j'ai envie de mettre un enfant dans ce monde, au bord de l'apocalypse climatique ou guerrière, etc. ». Jean Birnbaum souhaite à ces jeunes de  créer un monde pour lequel et dans lequel, ils se diraient qu’à leur tour, cela vaut la peine de mettre des enfants au monde.

Référence : 

Seuls les enfants changent le monde, Jean Birnbaum, Seuil, 2024


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