La coopération à l’école : apprendre ensemble pour mieux grandir avec Sylvain Connac #239

La coopération est aujourd’hui au cœur des réflexions éducatives. Comment apprendre à travailler ensemble, à s’entraider et à développer une pensée critique dès l’école ? Dans cet entretien pour Les Adultes de Demain, Stéphanie d’Esclaibes échange avec Sylvain Connac, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation et spécialiste des pédagogies coopératives. Ensemble, ils explorent les multiples formes de coopération vécues à l’école, leurs bienfaits pour les élèves comme pour les enseignants, et leur rôle essentiel face aux défis démocratiques et sociaux de notre époque.

Qu'appelle-t-on pédagogie de la coopération à l'école ?

La coopération est un terme souvent utilisé, mais dont le sens en éducation mérite d’être précisé. Selon Sylvain Connac,

« il y a coopération entre élèves dès lors que les élèves sont encouragés ou autorisés par les adultes à agir et apprendre par, pour et d’eux-mêmes ».

Autrement dit, la coopération ne consiste pas simplement à travailler côte à côte, mais bien à s’appuyer sur la force du collectif pour progresser individuellement.

Il est important de distinguer la coopération de l’entraide. L’entraide correspond à une aide ponctuelle, souvent unilatérale : un élève explique ou corrige un autre. La coopération, elle, engage un échange réciproque où chacun contribue et apprend.

De même, le travail de groupe traditionnel ne doit pas être confondu avec une pédagogie coopérative. Comme le rappelle Sylvain Connac, ces travaux de groupe sont souvent « contre-productifs » : les élèves se répartissent les tâches selon leurs facilités, laissant les plus fragiles à l’écart des activités cognitives.

La coopération, au contraire, vise à créer une interdépendance positive, où les différences deviennent une richesse et où les confrontations d’idées ouvrent la voie à de nouveaux apprentissages.

La coopération à l’école n’est pas une simple méthode pédagogique parmi d’autres. C’est une manière d’apprendre par, pour et avec les autres. Elle valorise :

  • l’autonomie ;

  • la solidarité ;

  • le sens du collectif.

Les pédagogies coopératives à l’école

La coopération n’appartient pas à une seule pédagogie. Ce n'est pas une pédagogie en tant que telle. Elle traverse différents courants éducatifs, chacun ayant développé ses propres dispositifs pour la mettre en œuvre.

«  Toutes les pédagogies s'appuient sur ce qu'on appelle des relations horizontales entre enfants ou adolescents. Même celle qui proclame dans son adage ne pas le mettre en avant. »

Certaines pédagogies, dites alternatives, l’ont placée au cœur de leur démarche.

  • C’est le cas de la pédagogie Freinet, qui repose sur l’expression libre des enfants, la réalisation de projets collectifs et les conseils coopératifs.

  • La pédagogie institutionnelle, initiée par Fernand Oury, fait également du groupe un pilier central pour apprendre et réguler la vie de classe.

  • Plus tôt dans le XXᵉ siècle, Roger Cousinet avait développé la « pédagogie du travail libre par groupes », encore utilisée dans quelques écoles aujourd’hui.

  • Et au début duXXᵉ siècle, Barthélémy Profit, inspecteur du primaire et quelques pédagogues initient l'OCCE, l'Office Central de la Coopération à l'Ecole. C'est la pédagogie des coopératives scolaires. Barthélémy Profit explique alors que la coopération à l'école est un lieu de double apprentissage :

    • Apprentissage des logiques mutualistes,afin de sensibiliser les enfants à ces principes alors que les mutuelles n'existaient pas encore. « Les adultes ne comprenaient pas trop ce que , puisque les adultes ne comprenaient pas trop ce que ça pouvait leur apporter, que de donner de l'argent sans qu'ils récupèrent de suite un bénéfice », précise Sylvain Connac.

    • Apprentissage de la démocratie par l'exercice ordinaire de la démocratie à l'école.

« Les coopératives scolaires sont des leviers extrêmement puissants pour ça, parce qu'on donne la possibilité aux enfants de s'organiser, un peu comme des petites associations à hauteur d'enfants, et de manière à ce qu'ils vivent les projets qui sont les leurs à l'intérieur de l'espace classe. »

D’autres approches, comme la pédagogie Montessori, ne mentionnent pas explicitement la coopération dans leurs principes fondateurs, mais l’encouragent de fait dans les pratiques de classe :

«  Dans une ambiance montessorienne, on voit de fait des situations de coopération entre enfants, soit des temps collectifs, avec ce qu'ils appellent la ligne, soit quand les enfants travaillent sur des tapis. Là, c'est quasi systématique : les éducateurs ou éducatrices montessoriennes autorisent les enfants à se mettre à deux sur les tapis. Et donc il y a des situations coopératives, même dans les pédagogies qui, sur le papier, sembleraient les plus éloignées. », souligne Sylvain Connac.

Au-delà des pédagogies, de nombreux outils coopératifs sont aujourd’hui utilisés dans les classes. Parmi les plus connus :

  • le travail en groupe (et non de groupe) lorsqu’il est pensé comme un échange d’idées et non comme une simple répartition de tâches ;

  • les conseils coopératifs, assemblées démocratiques où les élèves discutent des projets de la classe et participent aux décisions ;

  • la classe puzzle (ou jigsaw), qui favorise l’interdépendance entre élèves en les rendant chacun responsables d’une partie du savoir à transmettre au groupe. Sylvain Connac explique au cours de l'épisode, le principe d'une classe Puzzle. Il conclut par le fait que c'est une technique coopérative très intéressante pour susciter la rencontre, l'engagement, la reconnaissance interindividuelle des enfants à l'intérieur d'une classe, et développer des habiletés coopératives... mais elle ne fonctionne pas pour tout.

Tous ces dispositifs visent à développer chez les élèves une plus grande autonomie dans leur travail et une responsabilisation vis-à-vis du collectif.

Comme le résume Sylvain Connac, une pédagogie basée sur la coopération permet aux enfants « de se donner à plusieurs les moyens de réussir, de mieux réussir quelque chose qui leur résiste individuellement ».

Les bienfaits de la coopération à l'école

La coopération en classe ne se limite pas à une méthode de travail. Elle constitue un véritable levier de développement pour les enfants, à la fois sur le plan scolaire, relationnel et citoyen.

Ne pas rester seul face aux difficultés

L’un des premiers bénéfices, selon Sylvain Connac, est d’éviter l’isolement face aux apprentissages. Il explique :

« La première fonction de la coopération, c’est de ne pas se retrouver tout seul quand on est coincé […]. Les organisations coopératives donnent la possibilité, de manière assez discrète, souvent invisible, d’obtenir un déblocage sur une micro-tâche. »

Cette aide ponctuelle permet à l’élève de reprendre confiance et de poursuivre son travail sans attendre l’intervention de l’adulte.

Et si les pratiques de coopération sont utiles pour les élèves, elles le sont aussi pour les adultes.

« En effet, cela leur donne la possibilité de ne pas être la seule personne à pouvoir s'occuper de toutes les préoccupations individuelles qu'il y a dans la classe. Avec la coopération, l'adulte n'est pas la seule personne-ressource », renchérit Sylvain Connac.

Développer la pensée critique grâce aux désaccords

La coopération expose aussi les élèves à la diversité des points de vue. Ces différences, parfois sources de désaccords, deviennent des occasions d’apprentissage. Comme le souligne Sylvain Connac :

« Les conflits, c’est ça qui permet d’apprendre. Quand on évolue dans des sphères d’amis où on pense tous la même chose, outre le fait qu’on s’ennuie, on n’apprend rien. »

Ces confrontations, qualifiées de « conflits socio-cognitifs », amènent les enfants à :

  • questionner leurs certitudes ;

  • comparer leurs raisonnements ;

  • s’ouvrir à l’altérité.

Favoriser la créativité, l’altruisme et les habiletés coopératives

Enfin, la coopération développe des compétences sociales essentielles. Les chercheurs américains parlent de cooperative skills, c’est-à-dire des habiletés coopératives que les enfants réinvestissent à l’école comme en dehors.

« Des enfants qui coopèrent à l’école, ils apprennent à coopérer. Et ça leur sert à l'école et en dehors de l'école. », rappelle Sylvain Connac.

Ce climat collaboratif nourrit l’altruisme, stimule la créativité et prépare les futurs adultes à construire ensemble des solutions dans un monde complexe.

La coopération permet aux élèves de mieux apprendre, mais aussi de mieux vivre ensemble. Elle favorise autant la réussite scolaire que la construction d’attitudes sociales et démocratiques durables.

Coopération à l'école

La coopération entre enfants comme réponse aux enjeux sociétaux

Au-delà de ses bénéfices pédagogiques, la coopération à l’école prépare les enfants à relever les grands défis de notre société.

Une société marquée par l’individualisme

Nous vivons dans un monde où l’individualisme domine souvent les relations sociales.

« On voit bien que tout le monde se plaint d'une société tubulaire où chacun, un peu, est dans des logiques individualistes et a du mal à rentrer dans des relations avec d'autres, surtout d'autres qui nous ressemblent peu », observe Sylvain Connac.

Face à ce constat, la coopération devient un apprentissage essentiel pour cultiver le vivre-ensemble.

La coopération comme apprentissage de la démocratie

Les dispositifs coopératifs, comme les conseils d’élèves, ne sont pas seulement des outils de régulation de la vie de classe. Ils constituent aussi une initiation concrète à la démocratie. Sylvain Connac rappelle que « les conseils coopératifs, c'est l'article 12 de la Convention internationale des droits des enfants ». Il impose de donner la parole aux enfants pour toutes les décisions qui les concernent. Ces pratiques habituent les élèves à « prendre la parole en public, se frotter à la différence d'avis, prendre des décisions qui ne sont pas toutes satisfaisantes et donc revenir sur des décisions prises pour les faire évoluer ».

Du collectif scolaire à l’État-providence : la coopération au quotidien

La coopération ne s’arrête pas aux portes de l’école : elle traverse l’ensemble de notre organisation sociale. Comme le souligne Sylvain Connac,

« l’État-providence, en fait, c’est une organisation coopérative, mais à l’échelle de l’État ».

Le système de santé, l’école publique, les associations : autant d’exemples où le collectif prime sur l’intérêt individuel. Trop souvent considérées comme allant de soi, ces structures coopératives rappellent que la solidarité est au fondement même de notre vie en société.

Ainsi, en initiant les enfants à la coopération à l’école, on les prépare non seulement à réussir leurs apprentissages, mais aussi à contribuer à une société plus démocratique, solidaire et ouverte à l’altérité.

La coopération à l'école : nuance entre le travail de groupe et le travail en groupe, préférable

La coopération à l’école : Sylvain Connac explique la nuance entre le travail en groupe et le travail de groupe. Le premier est bien plus bénéfique pour les enfants. ©Vanessa Loring

Les limites et défis de la coopération à l’école

Si la coopération présente de nombreux bénéfices, elle comporte aussi des risques lorsqu’elle est mal comprise ou mal appliquée.

Les dérives du travail de groupe

La forme la plus répandue, promue par l’Éducation nationale, est le travail de groupe. Mais, nous l'avons vu, d’après Sylvain Connac, ces pratiques sont « particulièrement contre-productives ». Il explique :

« Les élèves se répartissent le travail selon les dons individuels […]. Les plus dégourdis prennent les tâches cognitives, et les élèves issus de familles plus éloignées de la culture scolaire sont cantonnés à des tâches subalternes. »

Résultat : au lieu de favoriser l’inclusion, le travail de groupe peut renforcer les inégalités.

Risques d’autocensure et de mise à l’écart

Face à ces situations, certains élèves s’effacent. « Parce qu’il est meilleur que moi, et moi je suis pas capable, et je veux pas déranger », rapportent-ils souvent aux chercheurs. Cette autocensure prive ces enfants d’une véritable expérience d’apprentissage et peut les amener à décrocher, voire à parasiter l’activité.

Transformer les pratiques pour réellement coopérer

Pour dépasser ces écueils, Sylvain Connac et ses équipes distinguent le travail en groupe du travail de groupe. Dans le premier cas, les élèves partagent librement leurs idées autour d’une situation-problème, sans obligation de produire ensemble. L’objectif est de confronter les points de vue et de susciter le besoin d’apprendre, plutôt que de réaliser une tâche commune. L’enseignant peut ensuite reprendre la diversité des idées et apporter les savoirs scolaires en réponse aux questions des élèves. Ce cadre assure que chacun reste engagé cognitivement, sans exclusion ni hiérarchie implicite.


La coopération apparaît comme une compétence profondément humaine et innée. Les recherches de Michael Tomasello, auteur de Aux origines de la cognition humaine, ont montré que même les enfants de un an coopèrent spontanément, avant que la méfiance sociale ne vienne atténuer cette disposition naturelle.

À l’école, la coopération est donc un trésor à préserver. Elle suppose cependant que les enseignants soient formés aux pédagogies coopératives, pour mettre en place des pratiques qui incluent réellement tous les élèves et favorisent leur autonomie.

Sylvain Connac adresse donc un vœu aux générations futures :

« Qu’ils aient la possibilité de rencontrer, dans leur parcours scolaire, des enseignants qui ont été formés aux pédagogies de la coopération, de manière à ce qu’ils puissent vivre dès l’école des formes de coopération qui soient utiles pour apprendre et pour rencontrer les autres. »

Un message porteur d’espoir : offrir aux enfants la chance de grandir dans un monde où la coopération est vécue dès l’école, pour mieux préparer les adultes de demain.

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