Sensibiliser les enfants aux inégalités de genre avec Fanny Vella #187

Dans un monde où les stéréotypes de genre persistent dès le plus jeune âge, Fanny Vella, autrice et illustratrice engagée, s’attelle à sensibiliser les enfants (et les adultes) aux inégalités de genre. Elle utilise ses crayons pour amener ses lecteurs à se questionner, à évoluer et changer leur mentalité. Dans ses bandes dessinées, elle aborde avec finesse et humour des thèmes sensibles comme l'égalité de genre et les dynamiques familiales. Au micro des Adultes de demain, elle explique comment elle utilise son art en tant que moyen puissant de communication et d'éducation. Elle revient ainsi sur la création de l’album Pourquoi papi ne fait pas la vaisselle ? qui inspirera, elle le souhaite, les nouvelles générations.

 Le rôle de l'art dans l'éducation aux inégalités de genre

L'art possède une capacité unique à éveiller les consciences et à remodeler les perspectives. Autrice et illustratrice, Fanny Vella choisit délibérément des thèmes qui invitent les enfants et leurs parents à réfléchir sur des questions de société telles que les inégalités de genre. À travers ses illustrations, elle place ses personnages dans des situations vers lesquelles elle a envie que la société s’oriente, notamment en termes d’égalité des genres.

L’album jeunesse Pourquoi papi ne fait pas la vaisselle ? : étude de cas

Un exemple de son travail est la bande dessinée récente, Pourquoi papi ne fait pas la vaisselle ?, créée avec Ophélie Celier et Thomas Piais. Cet album interroge les rôles traditionnellement genrés dans les tâches ménagères. À travers les yeux de la jeune Lou, qui questionne les pratiques de ses grands-parents, Fanny Vella ouvre un dialogue sur les responsabilités partagées au sein du foyer

La petite fille se questionne sur cette répartition des tâches, qui incombent principalement et uniquement à sa mamie. Elle demande à sa maman pourquoi « son papy ne fait rien ». Et si l’on fait bien attention aux détails, on se rend compte que dans la famille de Lou, le schéma a déjà pris un virage puisque son père est toujours en arrière-plan à effectuer des tâches (changer le bébé, lire des histoires, etc.) que le papy n’a jamais réalisées. Fanny Vella défie ainsi les stéréotypes de genre ancrés depuis des générations.

Comment Fanny Vella sensibilise aux inégalités de genre dans les ouvrages pour enfants ?

L’objectif n’est pas de pointer du doigt « ceux qui ne font rien », mais d’inviter les enfants à s’émanciper des attentes de la société, afin de correspondre à qui ils sont vraiment. Fanny Vella ne cherche pas à dire que « le rose et les paillettes, c’est nul et qu’il ne faut pas que les garçons jouent au foot parce que c’est trop stéréotypé ». Elle encourage les enfants à choisir en fonction de leurs envies et appétences et non pas en fonction de ce que la société attend d’eux

Et si la démarche est militante, Fanny Vella ne veut surtout pas que ces albums le soient : elle ne veut pas « mettre sur les épaules des enfants un rôle de sauveur ». Si ce livre peut être lu dès les 3-4 ans de l’enfant, elle tient à rappeler que dans la littérature jeunesse, on ne lit pas un livre à un enfant de 3 ans comme on lit ce même livre à un enfant de 6-7 ans et plus. « C’est un livre qui se veut distrayant, joli, joyeux et en même temps, plus les enfants avanceront dans l’âge, plus ça va venir, peut-être, questionner des choses et notamment, sur cette répartition des tâches à l’intérieur des familles. »

Elle ne souhaite pas non plus culpabiliser les parents, les adultes, mais plutôt en faire des alliés. Depuis sa précédente entrevue sur le podcast dans l’épisode 97, « regarder l’enfance autrement », Fanny Vella dit elle-même avoir gagné en subtilité dans la délivrance de ces messages. Elle pense qu’il vaut mieux venir changer les imaginaires : « et les imaginaires, on les change grâce à l'art, et notamment à travers les BD que je fais ».

Et plutôt que de venir assommer avec un message en disant « Regardez ce qu'on fait qui n'est pas bien », elle essaie de le distiller dans ses histoires pour tenter de banaliser un type de rôle, par exemple la place du père, sans dire « Regardez comment un père pourrait se comporter ». Elle cherche plutôt à placer des personnages de père qui se comportent d'une façon vers laquelle elle a envie qu'on tende.

Ne croirait-elle pas finalement, comme Jean Birnbaum, que les enfants changent le monde, parce qu’ils questionnent les parents implicitement et explicitement ?

La complexité des stéréotypes de genre et leur impact sur les enfants

Les stéréotypes de genre ne sont pas simplement des idées abstraites ; ils façonnent concrètement la manière dont les enfants perçoivent le monde et se perçoivent eux-mêmes. Dès leur plus jeune âge, les enfants absorbent et répliquent les modèles de comportements et les rôles que la société leur attribue, souvent sans même que nous en soyons conscients. Fanny Vella, à travers son œuvre, s'attaque à ces préconceptions profondément enracinées.

Elle mentionne des études qui démontrent que les enfants peuvent percevoir les stéréotypes de genre dès l'âge de 18 mois. Ces recherches révèlent que les bébés commencent à distinguer les genres et à internaliser les rôles associés à chacun d’eux bien avant de commencer à parler. Elle explique que vers l’âge de trois ans, les enfants associent déjà certains traits à des profils genrés : les robes, c’est plutôt pour les femmes, la barbe pour les hommes. Puis, ils comprennent qu’une fille devient une femme, un garçon devient un homme. Et vers 7-8 ans, ils intègrent consciemment ce qu’ils ont perçu jusqu’alors : je suis une fille ou un garçon, je dois donc répondre à ces attentes-là. 

C’est pourquoi tout ce qui se joue avant cet âge de prise de conscience a une grande importance : 

  • la place des filles dans la famille, dans la classe, dans les cours de récréation ;

  • la place de l’émotion chez les petits garçons, comment celle-ci est accueillie, recueillie ;

  • la place de la colère chez les filles et l’accueil que l’adulte en fait, etc.

On comprend comment on façonne des stéréotypes de genre qui se perpétuent si on ne prend pas garde à ce que l’on renvoie en tant qu’adulte. C’est pourquoi Fanny Vella veille à réaliser des livres qui montrent des petits garçons qui pleurent, des petites filles qui expriment de la colère, etc., pour déconstruire, dès le plus jeune âge, ces stéréotypes.

Elle reconnaît d’ailleurs que dans le livre Pourquoi papi ne fait pas la vaisselle ?, c’est une petite fille qui soulève une question patriarcale et que les scènes se passent entièrement à l’intérieur. Or la représentation des personnages féminins se fait principalement à l’intérieur des maisons, quand les personnages masculins évoluent à l’extérieur. La déconstruction des schémas sociétaux aurait pu être poussée un peu plus loin. 

L'importance du dialogue intergénérationnel 

Dans l’album Pourquoi papi ne fait pas la vaisselle ?, le sujet des inégalités de genre est abordé sous un prisme intergénérationnel puisque Lou s’interroge sur le schéma de répartition des tâches que donnent à voir ses grands-parents. Fanny Vella apprécie que l’album serve ainsi de pont pour le dialogue entre les générations. « Le but n’est pas de se couper de ses grands-parents et des autres membres de la famille », parce qu’on n’agit pas comme eux. 

Ainsi, elle montre un papa en train de changer le bébé, ou qui raconte des histoires et qui donc, clairement, ne se comporte pas comme le grand-père a pu le faire. Lou ne peut pas interroger la répartition inégalitaire des tâches au sein de son foyer, puisqu’elle n’y est pas confrontée. Mais c’est parce qu’elle rencontre d’autres styles de vie, à travers d’autres générations, d’autres membres de sa famille, que son questionnement peut émerger. 

Pour Fanny Vella, il était important que des enfants puissent reconnaître leurs grands-parents à travers cet album. L’identification est possible grâce au réalisme des situations. Cela l’aurait peut-être moins été si ce schéma avait été représenté à travers le père et la mère parce que les choses ont déjà un peu changé avec la nouvelle génération de parents. 

Néanmoins, pour Fanny Vella, il est primordial que ce livre ne froisse pas les grands-parents. Elle souhaite que lorsqu’ils lisent le livre, ils comprennent que leur comportement provenait de leur propre conditionnement : eux-aussi, ils ont vu et crû quand ils étaient enfants, à un modèle de couple, de famille, qui leur était donné à voir et vivre.

« En fait, c'est plus un partage, c'est-à-dire que quand on prend cet album et qu'on le lit avec ses grands-parents, ou qu'on est grands-parents et qu'on le lit avec ses petits-enfants, on vient créer un pont entre deux façons de vivre, deux enfances reçues différemment qui ont généré ces comportements-là. 

En fait, c'est un livre pour développer aussi de l'empathie vis-à-vis de ses grands-parents, des circonstances atténuantes, une meilleure compréhension aussi d'un climat dans lequel ils ont été éduqués. »

Ce pont entre générations, Fanny Vella le retrouve dans le premier album des éditions Kif-Kif, Cendrillon - Cendrillo, puisqu’elle a pu présenter ce projet à son grand-père en lui expliquant qu’il s’agissait des contes traditionnels… mais avec une version récrite par l’autrice Barbara Le Viet.

Dans un sens, Barbara Le Viet met sa plume au service du conte traditionnel de Cendrillon. Dans l’autre sens, tous les personnages changent de genre : Cendrillon devient Cendrillo. Le patrimoine culturel perdure et le lien se tisse entre les anciennes générations et les nouvelles qui se réapproprient ce conte avec quelques modifications pour créer un imaginaire différent. Ce nouvel imaginaire contribuera à faire bouger les lignes et combattre les inégalités de genre.

Pour en savoir plus, sur tout le travail de Fanny Vella, écoutez l’épisode en intégralité et retrouvez-la sur son compte instagram

Références : 

Pourquoi papi ne fait pas la vaisselle ?, Thomas Piet, Ophélie Celier, Fanny Vella, Petit Leduc, 2024

Le seuil, Fanny Vella, Le Courrier du Livre, 2024


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