Les conditions de travail des enseignants : quels impacts sur les élèves ? avec William Lafleur #167

L'enseignement a longtemps été décrit comme « le plus beau métier du monde » : une noble vocation, une mission sacrée consistant à éclairer les esprits de la génération future, à accompagner le développement de citoyens instruits, capables de mobiliser leur pensée. Cette vision de la profession d'enseignant a longtemps suscité admiration et respect. Aujourd’hui, l’enseignement cherche des candidats. Cette image de l’enseignant et de l’enseignement est mise à mal. La réalité des conditions de travail des enseignants n’y est pas étrangère.

William Lafleur, Monsieur le Prof sur les réseaux, lève le voile sur les coulisses de l’enseignement en France à travers son livre, L’ex plus beau métier du monde. Il met en lumière les défis auxquels sont confrontés les enseignants, les frustrations qu'ils éprouvent, et les conséquences de ces difficultés sur les élèves.

Les conditions de travail des enseignants : état des lieux

On pourrait s’arrêter à ce que donnent à voir les ministres de l’Éducation nationale dans les médias, les chiffres et les promesses : 12 millions d’élèves, 800 000 enseignants, des milliers d’établissements et un professeur devant chaque élève pour la rentrée de septembre 2023. Sauf que tout ceci est extrêmement coûteux.

Et le modèle qui est en train de se dessiner pour l’Éducation nationale se rapproche de ce qui existe aux États-Unis et en Angleterre : la réduction des moyens pour mener à la privatisation. Le gel des salaires des enseignants pendant des années en est une des illustrations les plus flagrantes. Mais on peut également évoquer le délabrement de nombre d’établissements, des classes de plus en plus surchargées, des suppressions de postes psycho-médico-sociaux, etc. La dégradation des conditions de travail des enseignants et une valorisation très faible du métier ne sont pas étrangères à la désertion du métier.

Pourquoi le métier d’enseignant n’attire plus ?

Voici quelques-unes des raisons majeures qui expliquent la baisse constante du nombre de candidats au concours de professeurs et l’augmentation continue du nombre de démissions :

  • Le rapport à l'institution (ministère, inspection, rectorats) : une hiérarchie qui écrase bien plus qu’elle ne soutient.

  • Le système des mutations : quand on obtient un des concours de l’enseignement, il faut, pour la majorité des enseignants, plusieurs années avant d’obtenir une situation stable sur un établissement… et on ne parle pas des difficultés pour changer de département.

  • Le salaire, dont on parle beaucoup en ce moment, mais qui fut vraiment un sujet tabou ces 20 dernières années. On considérait que les profs travaillaient finalement peu et qu’il était normal de les payer peu.

  • Les clichés sur les enseignants, dont celui évoqué juste au-dessus, à savoir le nombre d’heures travaillées. Vu qu'un enseignant agrégé est 18h face à ses élèves dans le secondaire, beaucoup de gens s'imaginent qu'un prof ne bosse que 18h par semaine. C’est un peu comme si un joueur de foot ne jouait au foot que 90 minutes par semaine. On occulte toute la partie préparation, correction, réunions, etc. Et on met dans le même panier, tous les enseignants, agrégés ou pas, œuvrant dans le primaire ou le secondaire.

  • Le rapport aux parents, de plus en plus difficile avec la numérisation du métier. Par ailleurs, les parents sont de plus en plus clientélistes. Ils s'attendent à ce que l'école soit finalement à la carte et qu'on ne s'occupe que de leur enfant. Ils en oublient au passage que les effectifs dans les classes augmentent. 

  • Le problème des moyens matériels et humains : nombre d'élèves en classe qui augmente, établissements qui tombent en ruine avec de l'amiante dans les murs par exemple, manque de mobilier, suppression des infirmières scolaires, des médecins scolaires, déjà rares, des assistantes sociales, des psy-EN, etc. Les exigences envers les enseignants sont toujours plus grandes. Ils doivent inclure de plus en plus d’élèves, à besoins particuliers notamment, sans qu’on leur en donne les moyens (manque d’AEH par exemple).

La maltraitance institutionnelle : de la formation infantilisante à l’inspection traumatisante

La formation des enseignants est également un sujet de préoccupation, à tel point qu’il est de nouveau question de la réformer. Les enseignants rapportent souvent que leur formation ne correspond pas aux réalités du métier. Les programmes de formation mettent parfois trop l'accent sur la préparation aux concours et pas sur la façon dont se gère une classe. Les enseignants se sentent régulièrement mal outillés pour faire face à des situations concrètes en classe. 

William Lafleur explique ainsi avoir eu sa formation sur « comment préparer ses premiers cours », un mois après la rentrée scolaire. Il y a pourtant tant à apprendre pour accompagner les élèves : où trouver les documents fiables ? Comment les soumettre aux élèves ? Quelles adaptations proposer à un enfant dys, à un élève souffrant de trouble du spectre autistique ou d’un trouble de l’attention, etc. ?

Quant à la formation continue proposée, elle peut être infantilisante, au point de perdre 3 heures à lire les énièmes nouveaux programmes en groupe. 

Face à cette formation défaillante, les inspections sont loin d’être systématiquement bienveillantes, si bien qu’elles sont une source d'anxiété pour de nombreux enseignants. Les exemples sont nombreux où l’inspecteur ne s’est guère attardé sur les points positifs de la séance qu’il vient de voir (une tous les 5 ans au mieux), quand il le fait. Par contre, certains donnent l’impression de prendre un malin plaisir à faire des retours négatifs sur ce qu’ils ont vu, assortis de remarques humiliantes, démoralisantes, peu constructives. À tel point que certains enseignants ressortent de l’entretien pétris de doutes quant à leurs compétences. Leur motivation, voire leur santé mentale, peuvent être mises à mal par ces rendez-vous de carrière. 

Quels sont les impacts de l’augmentation du nombre d’élèves dans les classes ? 

L'une des principales difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants en France est le nombre d'élèves par classe. À l’école primaire, le nombre dépasse régulièrement 25 élèves, se rapproche des 30 quand il n’est pas supérieur. Au collège, même constat, les classes comptent 29 à 30 élèves… et au lycée, il n’est pas rare de voir des cohortes de 36, 37, voire 38 élèves. 

Pour l’instant, c’est surtout parce que les salles ne peuvent pas contenir plus d’élèves qu’on ne va pas au-delà. Il devient physiquement impossible de rajouter des élèves… et on manque même parfois de tables et de chaises. 

Parmi les conséquences de ces effectifs élevés, on relève :

  • plus de bruit et d'agitation, donc des élèves qui suivent moins bien et des enseignants plus épuisés ;

  • des professeurs qui ne peuvent pas individualiser, différencier, n’ont pas le temps d’être derrière chaque élève, parce qu'il y en a trop à gérer ;

  • plus de travail aussi, de correction, de préparation… ;

  • des situations de violence, de harcèlement difficilement décelables en raison de la taille du groupe ;

  • un temps de travail réduit par élève. « Prenons l’exemple du cours d’anglais en lycée, 2 heures par semaine pour 36 élèves. Si chacun parvient à parler 1 à 2 minutes d’anglais sur les 2 heures de cours, c’est déjà extraordinaire, mais n’a aucun sens pédagogique », explique William Lafleur, ancien professeur d’anglais. 

Une union parents - enseignants pour le bien-être des enfants

Des réformes trop vite engagées 

William Lafleur regrette que nombre de parents ne soutiennent pas plus les enseignants quand ils s’opposent à une réforme. Si les personnels de l’éducation se mobilisent, ce n’est pas par plaisir et pour leur confort personnel (ça leur coûte), mais bien parce qu’ils voient que ce n’est pas bon pour les élèves. Parce qu’ils sont sur le terrain et connaissent leur public, ils comprennent que cela ne les aidera ni à apprendre, ni à être bien. 

Ce fut le cas avec la réforme du bac. Le contrôle continu était censé diminuer le stress concentré sur l’épreuve finale du baccalauréat. Résultat, William Lafleur n’a jamais eu autant d’élèves ayant des crises d’angoisse que depuis cette réforme.

🎧 Écoutez l'épisode sur le Mal-être des ados avec Anne-Claire de Pracomtal.

Alors, certes, la grève, c’est pénible pour les parents qui doivent trouver des solutions pour faire garder leurs enfants quand ils sont jeunes. Mais il faudrait que les familles voient au-delà et comprennent ce qui se joue pour l’avenir de leurs enfants.

Par ailleurs, il serait faux de croire que c’est parce que les enseignants ne veulent pas de réforme qu’ils font grève. William Lafleur rappelle d’ailleurs que depuis le début des années 2000 avec Claude Allègre, les gouvernements ont réussi à faire passer leurs réformes, malgré les grèves et protestations. Il souligne plutôt qu’ils réforment tellement, qu’ils font ça dans la précipitation, sans prendre le pouls des enseignants et demander l’avis du terrain.

Du coup, cela donne des réformes style « essuie-glace » : un coup, elles sont faites, la fois suivante, elles sont détricotées. Il en fut ainsi pour la réforme du collège de 2016 avec Najat Vallaud-Belkhacem. Cinq ans plus tard, Jean-Michel Blanquer produit une contre-réfomre et annule la moitié de celle de 2016. Quant à sa réforme du lycée, Gabriel Attal est en train de la remanier. 

Une des grosses difficultés, c’est donc cette précipitation dans les réformes, assortie d’un manque d’écoute du ministère. 

Une génération fragilisée

Cette hâte à réformer, les élèves en font les frais. Comme les enseignants, ils sont les cobayes de ces changements incessants. Ils sont aussi le laboratoire des enseignants insuffisamment formés à la gestion de situations diverses et variées. 

Comme l’exprime William Lafleur, « pendant ma toute première année d'enseignant, j'ai utilisé mes élèves. C'étaient des cobayes, en fait, vu que je testais des trucs avec eux. Je ne savais pas quelle solution apporter. Donc, j'ai fait des choses qu'il ne fallait pas. Par exemple, je me souviens avec mes troisièmes : j'ai beaucoup fait ami-ami avec eux parce que j’avais envie d'être le prof cool ». Il aurait aimé qu’on lui dise en formation que cette attitude était contre-productive, et qu’au bout d'un moment, les élèves n’allaient plus du tout le respecter. Il s’en est bien sûr rendu compte un peu trop tard. Et ce fut très dur à reprendre en main.

Les jeunes d’aujourd’hui sont donc fragilisés par ces transformations constantes, par le fait d'avoir des professeurs mal ou pas formés. On les traite souvent de fragiles, mais on oublie que :

  • Ils ont tous grandi dans l’état d’urgence. Ils n’ont connu qu’une France sujette aux attentats terroristes. Certes, les années 90 ont également eu leur lot d’attentats, mais la fréquence n’était pas la même. Et ce n’est pas l’intégralité du territoire qui était concerné. 

  • Ils ont par ailleurs traversé une pandémie mondiale. Les adolescents sont le fruit du monde dans lequel ils vivent. Et ce monde n’est guère bienveillant. 

  • On les empile, on les entasse dans des classes et on ne donne pas les moyens aux professeurs de bien leur venir en aide. 

  • On leur dit que maintenant, Pronote et Parcousup vont un peu gérer leur avenir à leur place. Un peu comme une roulette russe. N’oublions pas qu’il n’y a plus de place pour tous à l’université, contrairement à avant. 

Une union parents-profs à créer pour les conditions de travail des enseignants et de leurs élèves 

Œuvrer pour améliorer les conditions d’exercice des enseignants et des élèves, c’est un peu le combat de David contre Goliath explique William Lafleur. Il a bien essayé de faire bouger les choses de l’intérieur, mais n’oublions pas que David perd. Les capacités à faire changer les choses depuis l’intérieur sont minimes : actions syndicales, collectifs, actions communes… Très peu de choses aboutissent. Du coup, la santé mentale, voire la santé tout court peuvent vite être affectées. On pense bien sûr à Christine Renon qui avait alerté par courrier sur son désarroi face à l’évolution du métier et qui s’est finalement donné la mort faute de soutien, d’apport de solutions. 

Néanmoins, William Lafleur tient à souligner les réussites qui existent, au niveau local, car parents, enseignants, hiérarchie se mobilisent et trouvent un écho dans la presse locale (fermeture de classe par exemple). Cela montre qu’une collaboration entre enseignants et parents permettrait de sauvegarder l’éducation à plus long terme.  Parce que parents et enseignants partagent un objectif commun, celui d'instruire au mieux les élèves dans les meilleures conditions qui soient.

Si William Lafleur n’entrevoit pas de solution à court terme pour changer le système de l’Éducation nationale, il espère qu’une telle union entre parents et enseignants pourra porter ses fruits à moyens et longs termes. « J’espère qu’on est en train de traverser le pire pour que le meilleur puisse naître. Actuellement, ce qu’on fait envers les adolescents et les enfants, c’est de la maltraitance, notamment avec les élèves en situation de handicap. Les classes pour ces élèves à besoins spécifiques ont fermé. Ils se retrouvent en classe ordinaire, mais sans les aides dont ils ont besoin ».

C'est parce que William Lafleur ne voulait plus être complice de ça, qu'il a finalement démissionné de l'Éducation nationale. Il n'en espère pas moins qu’on donnera un jour à l’école les moyens de bien s’occuper des élèves.


Référence :
L’ex plus beau métier du monde, William Lafleur, Flammarion

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